"Place Jalabert"

C'était au printemps 2001. Les volets clos depuis une semaine m'isolaient du monde, et la notion de temps m'était désormais étrangère. Accablé par le poids de mes recherches en matière d'histoire cycliste, je n'avais plus qu'une faible et vacillante lueur de bougie pour me secourir. Et, à l'ombre du monde, je travaillais au projet d'été de notre association cycliste, dont la trésorerie est sous mon entière responsabilité. La couverture de poussière qui protégeait le téléphone se souleva d'un coup lorsque la sonnerie retentit. J'avais quelque chose d'un zombie pour l'insensé qui m'appelait : «Vous êtes le chroniqueur cycliste ? » J'eus comme un doute : « Auquel pensez-vous ? »

- A vous. On m'a parlé en bien de vous.
- Alors, c'est bien moi. Que puis-je pour vous ?
- Commissaire Arpin. J'ai grand besoin de vous, c'est urgent.
- Et de quel secours peut vous être un malheureux chroniqueur ?
- Pas au téléphone. Vous êtes chez vous ? Je suis devant votre porte, sortez.

 

J'ouvris la porte du hall, et comment dire ? ce fut comme un rapt. Non : ce fut un rapt. Deux armoires à glace m'empoignèrent avec une délicatesse enchanteresse, et je fus bientôt sur la banquette arrière d'une énorme Twingo noire.


- Vous roulez en Twingo, Commissaire ? (ledit commissaire m'attendait au volant, et démarra en trombe)
- Pour brouiller les pistes. On fonce !
- Certes, mais où ?
- Je vous le demande !
- On ne risque pas d'aller très loin, dans ces circonstances.
- Ecoutez, vous allez m'aider. Je suis sur la piste d'un gang ultra-organisé, c'est un groupe effroyablement dangereux. Nous savons que le boss a un rendez-vous demain midi, because écoute téléphonique.
- Vous vous êtes trompé d'adresse !
- Non, car c'est vous qui allez me donner la leur. Vous êtes un historien cycliste ?
- Tout dépend de ce que vous allez me demander.
- Les mots du boss ont été : « Mamatez mardouze sur Jalabert». Mardouze, on sait, c'est midi à douze heures. Mamatez, mystère. Okay, mais Jalabert, c'est un mec qui fait du vélo, ça, non ?
- Jusque-là, c'est dans le domaine de mes compétences : je vous apporte confirmation.
- Alors, débrouillez-vous, et expliquez-moi ce que ça signifie.
- Mais je ne suis pas détective !
- C'est ça ou je te recycle en boyau de Gitane.
- Tiens, j'aurais préféré en Bianchi. Gitane, j'aime bien mais Bianchi, voyez…
- Tu as cinq minutes.
- Tout de suite, ça motive. Bon, bon, j'imagine que ce monsieur n'a pas rendez-vous sur Jalabert, ce serait très indélicat. Chez Jalabert, cela me semble syntaxiquement plus cohérent, mais historiquement improbable. A ceci près que, si je puis me permettre, et que l'on prenne mamatez, non pas comme une deuxième personne du pluriel, mais comme une anagramme, on recompose aisément Mazamet, et cela, je vous le donne en mille…
- En une fois et très vite !
- Bon, Mazamet, c'est la ville de Monsieur Jalabert, vous voyez.
- Tout se précise, on fonce à Mazamet ! C'est par où ?
- C'est le Tarn, mon Commissaire. Mais vous pourriez me laisser, je risque de vous encombrer.
- Mais tu ne nous as pas tout expliqué, j'ai besoin de toi.
- Bon, je vous explique tout immédiatement, je descends de voiture, et vous allez à Mazamet, sans moi.
- Comment ? Tu peux résoudre la fin de l'énigme ?
- Déposez-moi ici. Monsieur Jalabert est vraisemblablement le seul cycliste encore en activité qui ait une place à son nom, mon Commissaire. Lorsque vous serez à Mazamet, vous demanderez la place Jalabert, vous y trouverez votre gangster.
- La place Jalabert ? Nom d'un p'tit cocker !

 

L'échange ne fut pas plus long ; je fus proprement éjecté de l'auto, mais pour la bonne cause. J'ignore absolument les suites de cette affaire, mais je sais une chose au moins, c'est que la place Jalabert est un haut-lieu d'intrigues policières.

Écrire commentaire

Commentaires: 0