On y devise, on y jargonne, on y murmure, on y jaspine, on y radote, dans des volutes relaxantes ou suffocantes, les yeux picotent parfois.
Ce mélange irritant ou enveloppant peut procurer des sensations contradictoires. Le cyclisme a ses fragrances, ses arômes, ses pestilences. Vélochronique s'adapte à ce brassage d'odeurs. Humez-les toutes mélangées ici, ou faites votre choix selon votre goût en glissant votre nez dans l'encensoir ou l'empestoir.
Citoyen ordinaire, Benjamin Malo est du genre à rouler à côté de la plaque. C'est probablement le passionné de cyclisme le plus distrait que j'aie connu ; d'aucuns me répondraient : ce gars-là ne peut pas être un vrai passionné de cyclisme - amateur de vélo, certes, pratiquant par loisir, assurément, mais ignare en sciences cyclistes. C'est vrai qu'il a tendance à inverser les années où Roche et Delgado ont gagné le Tour ; et à oublier jusqu'à la possibilité qu'un Raimondas Rumsas ou qu'un Zenon Jaskula aient fait un podium. Il ne sait d'ailleurs plus qui est Bernhard Kohl. Et se demande bien qui est le champion du monde en titre. C'est aussi lui que les Coudoucens aperçurent un jour de février 2008 au sommet des Quatre-Termes en train d'attendre le peloton du Grand Prix de la Marseillaise qui était déjà arrivé à Marseille.
La vie de Marco Pantani, champion cycliste de son état, fut un roman. Sa mort à 34 ans le 14 février 2004 dans une chambre d'hôtel à Rimini en fut malheureusement l'un des principaux ingrédients. Et l'intrigue n'est pas dénouée. On ne sait plus par où commencer, ni où et quand ça finira. Dix années, de 1994 à 2004, concentrent toute l'histoire médiatique, fulgurante, de ce champion d'exception passé de gloire à opprobre, de lumière à trépas. Mais toutes les années écoulées depuis son décès continuent d'abreuver cette histoire jamais achevée. Non seulement les circonstances de sa mort n'ont pas cessé de susciter les interrogations et les suspicions de meurtre, mais la théorie selon laquelle le tonitruant scandale de dopage qui a précipité sa perte en 1999 était un coup monté trouve de plus en plus de crédit.
Soupçonné d'avoir détourné, par piratage informatique et pour sa défense, des pièces du laboratoire de dépistage du dopage, Floyd Landis fait l'objet d'un mandat d'arrêt. Son image publique, déjà saccagée, n'en sort pas grandie.
Le très ordinaire citoyen Benjamin Malo a pris un coup de gourdin sur le coin du pif voilà trois semaines et quelques cendres ; le premier janvier de l'année en cours pour être moins approximatif. 2010. Déjà dix ans depuis cette mémorable nouba dont quelques fragments, à y réfléchir de plus près, s'étaient déjà défaits de sa mémoire, mine de rien, ça fiche un coup, moi qui croyais m'en souvenir comme si c'était hier, et qu'est-ce que ça a filé vite, saperlipofichtre. Dix ans. Il était bel étudiant, prometteur, mince, frais, pas top intéressant mais pas le plus insipide ; il se retrouve transparent, chômeur à ses heures perdues, bedonnant sur les bords, plutôt jauni. Dix ans depuis cette mémorable nouba. Ils avaient écrit leurs résolutions à ne pas tenir, avec les copains, sur du papier hygiénique dont ils s'étaient partagé les feuilles. Leurs prédictions aussi. Et leurs pronostics.
Saperlipofichtre ! Rhâ ça me cogne dans la tête et j'ai froid aux pieds. Sais pas trop quelle heure il est, stop, je corrige : sais pas trop quelle ère nous sommes. Genre : gueule de bois. Gueule de bois sévère. Mais pourquoi ? je ne sais plus, car de quelle durée de coma je peux sortir là ? Du revers de ma main molle et engourdie, j'exhume la couleur originelle de mon pull d'un lustre de poussière. Mais j'ai dormi combien de temps ?
Même pas mal. Cadel Evans a voulu faire bonne figure devant les caméras en rejoignant la ligne d'arrivée. Une bête chute dans un des derniers tournants l'a privé de l'incommensurable joie de partager l'emballage final pour la huitième place avec le reste du peloton, six minutes après le succès de Nicki Sörensen.
Routinière période de transition sur le Tour de France, monotones étapes de plaine favorables au rattrapage de sommeil pour les téléspectateurs, condamnation à mort des échappés dont on ne se soucie même pas du nom, et victoire hyper-prévisible de l'insolent Mark Cavendish : le peloton traverse le fameux creux de la deuxième semaine, cette petite vallée de l'audimat située entre les deux massifs. Certes les téléviseurs fonctionnent dans les foyers mais les images sont offertes au néant ; la voix de Thierry Adam fait office de berceuse pour quelques millions de siestards.
- Eh Lloyd, tu sais pas ce que vient de me dire Rinaldo ? Y paraît que devant, Evans a attaqué !
- Evans ? Non ? C'est pour ça qu'on accélère alors ? Mais qu'est-ce qui lui prend de flinguer sur une étape comme ça ?
Parti en mission pour Vélochronique dans la principauté d'Andorre, j'attaquai la montée vers Arcalis muni de mon vaillant bicycle au crépuscule du matin, à la fraîche comme on dit par chez nous, suivi de ma non moins vaillante remorque, destinée aux quelques réapprovisionnements non taxés de circonstance que permet le petit crochet par l'ultra-libéral mini-Etat.
Gérone. C'est autour d'un tapas végétarien que Cadel et Jean-Paul se sont retrouvés, à sept avenues du départ de la sixième étape, qui tracera jusqu'à Barcelone. Un coup d'œil à droite, un à gauche, Cadel se sent épié par la foule, mais ce ne sont que fêtards et buveurs. Jean-Paul ouvre l'entrevue en lançant une attaque massive sur le vin catalan. Une deuxième gorgée.
Après une petite virée incognito dans les clubs branchés du Cap d'Agde, les blancs-bleus BBox de Bernaudeau ébaubis par leur cauchemardesque chrono de la veille se sont rabibochés avec la bonne Fortune. C'est que, solidairement atterrés par le désastre du contre-la-montre par équipes de Montpellier, la bande des bibox a improvisé une petite nuit blanche sur les pistes de danse et les meilleures banquettes du Cap.
Une poignée de millièmes de secondes, repêchés dans les temps enregistrés lors des chronos individuels (en l'occurrence la première étape à Monaco) ont départagé Cancellara et Armstrong au classement général à la sortie d'un contre-la-montre par équipes inhabituellement court (39km) mais peu propice à l'exercice (virages techniques et routes étroites notamment) ; au profit du Suisse.
Le cyclisme de 2009 a des airs des années 90, avec ses anciens champions revenus défier les nouvelles générations. La nouvelle tendance musicale est la valse des retours. Celui d'Armstrong avait eu l'effet que l'on sait, et avait fini par banaliser les retours réels ou seulement envisagés de Vinokourov, Basso, Heras, Landis, Hamilton, Bartoli… Avec la ferme intention de ne pas se contenter de faire de la figuration.
Je finissais un feuilleté au saumon et quelques ravioles. Le cœur ni trop en haut ni trop en bas. Sur un rythme globalement monotone.
Le Président parlait à la télé. Dans l'alignement de mon Muscat.
Ma distraite attention fut parasitée. Un souffle lointain ; plutôt un essoufflement, et un couinement saccadé.
J'en éprouvai comme une inquiétude, sourde et mystérieuse.
Je veux témoigner ici de l'insoupçonnable bienfait d'une d'initiative dont nous devrions, bien plus souvent, être tous familiers : je veux parler de la partie de vélo avec son authentique ami.
Par Lothar.
Ce lundi, ne voulant pas laisser mon spectre d'ami chroniqueur se ravachir dans son bureau-squat, je pris d'autorité trois heures de congé pour l'emmener faire une partie de vélo. Si je réussissais à le sortir, je gagnais d'avance la prochaine manche : le remettre à son clavier et relancer les chroniques du vélo. On ne répondit pas sur son téléphone fixe.
Par Lothar.
J'attendis mon dimanche pour relancer l'enquête. La réapparition brusque de mon chroniqueur d'ami sur une avenue d'Aix ne nous avait pas laissés sans séquelle, ma bicyclette, ma remorque et moi-même. Je ne rappellerai pas, en effet (ou alors, très brièvement), que, lancé à la poursuite de mon spectre d'ami au ventre ballottant que j'aperçus pédalant à toute allure sur un vélo au pneu arrière à plat, j'encastrai la remorque attelée à mon propre vélo, et qui me sert d'ordinaire à remorquer mes commissions végétariennes de la semaine ou du mois, j'encastrai la remorque de mon vélo, donc, dans les arrières-trains respectifs d'une Mini Austin et d'un fourgon de convoyage de fonds, qui discutaient le bout de gras à un feu rouge. J'avais à la fois sous-estimé la largeur de ma remorque et surestimé le passage entre lesdits véhicules. Ou plutôt, j'avais oublié la présence d'une remorque derrière moi. Ou en fait, je ne sais plus, je ne me souviens guère que de l'agacement de ces messieurs les convoyeurs de fonds.
Par Lothar.
J'étais en train de charger mes commissions végétariennes de la semaine dans la remorque de mon vélocipède, sur le parking d'un grand supermarché discount de ma cité. Quelques œillades à la bicyclette de l'apprenti-boulanger. Une fort belle machine en vérité. Un bref salut audit apprenti à travers la vitrine, lequel apprenti avait observé mes regards séduits. Seul un événement très fortement perturbateur pouvait détourner mon attention, à ce moment très précis, et interrompre mes subtiles avances. Une autre bicyclette ; montée d'un autre bicycliste. Mais pas n'importe quelle bicyclette, ni n'importe quel bicycliste. La première traînait derrière elle un insupportable flip-flip sur le boulevard devant moi, et portait sur sa selle le second (le bicycliste, donc - lequel était de mes amis le plus inattendu à ce moment très précis).
J'ai dû rêver que j'essayais d'attraper la liqueur de pomme verte. Je tendais le bras, je tirais sur l'épaule, du pouf-banquette où j'étais vautré depuis l'aube. Le contact graisseux et froid d'un chapelet de maillons m'a désagréablement réveillé. J'avais empoigné la chaîne du vélo - ce même vélo qui dormait dans le bureau depuis… depuis des mois, encore fixé sur son home-traîneur, le rouleau tendu maintenant toujours la pression sur le pneu à plat, et même pas usé… La bouteille de liqueur était sur la selle, dans un dangereux équilibre mais désastreusement vide. Quinze heures dix-sept. Les convecteurs à fond. Des coups de tambourin dans le crâne. Impossible d'enfiler les chaussettes : bide trop gonflé. C'est à ce symptôme que m'est apparue la juste idée de ma déchéance. Au début, le bide s'écrasait mollement sur les cuisses lorsque je laçais mes chaussures. Puis ça a commencé à me couper le souffle. Puis ça appuyait tellement fort que je rendais l'omelette aux lardons.
C'est la crise. La crise à tous les étages. La crise économique, la crise sociale, la crise boursière, la crise politique, la crise socialiste. On en oublierait presque la crise cycliste. Elle avait dix ans d'avance, seulement un peu visionnaire, la crise cycliste.
Depuis que Lance avait décidé de revenir à la compétition, il était assez satisfait de lui. Il se languissait d'être de retour dans le peloton, pour affronter la vindicte, pour dire du mal publiquement des journalistes français, pour se faire craindre à nouveau. La retraite sportive ne l'amusait guère. Les galas, la presse people, le président Bush... c'était barbant, pas assez boxé, trop lisse. Il avait besoin d'affrontement.
La scène décrite précédemment sur ce site se déroula, selon la chronique cycliste, dans le courant de l’année 2008. Lance avait perçu à quel point ses journées devenaient routinières. Cependant, les doutes le tiraillaient ; et puis, on n’improvise pas un retour, comme ça, l’air de rien. Aussi tenta-t-il d’oublier cette pensée, et de se détourner vers d’autres occupations. Faire un disque ? Ecrire un livre ? Sortir avec une chanteuse ? Un dîner à la Maison Blanche ? Un championnat de VTT ? Entrer en politique ? Rien que de très banal - tout était si monotone !
Lance faisait les cent pas dans son salon panoramique. Il s’arrêtait parfois, s’étirait, donnait un peu du poing dans le punching-ball à l’effigie d’Ullrich (un cadeau, mais de qui déjà ? du président ? du gouverneur ? de Verbruggen ? Il ne s’en souvenait plus vraiment), puis reprenait sa marche domestique en soupirant. Depuis quelques temps, il sentait poindre d’invraisemblables tentations : une viennoiserie, un Coca même pas light, une barquette de McCain (les frites), et même dormir. Des jours, il n’avait même pas l’occasion d’être méchant. Il avait la menace molle ces temps-ci. Car enfin, il fallait se rendre à l’évidence : Lance s’ennuyait !
Si Lance Armstrong prend vraiment le départ du Tour 2009, un certain nombre de mâchoires crispées feront de la poussière d’émail, à trop faire grincer des dents. Et s’il le gagne, il réussira le plus magistral pied de nez, que dis-je, un sacré bras d’honneur (ou un doigt, selon les méthodes de Manolo Saiz) lancé au cyclisme, à ses détracteurs, à ASO. Les sceptiques ont pâli - les fameux sceptiques, auxquels s’adressait le discours de retraite d’Armstrong, à la fin du Tour 2005, septième et dernière édition épinglée par lui, série qu’on croyait définitivement close, et désormais à considérer à nouveau en cours, qu’on se le dise ; car enfin, Armstrong a rarement déçu ses fans, et n’a pour ainsi dire jamais satisfait ceux qu’on appelle les anti-L.A. Malgré les doutes sur une victoire éventuelle en 2009 - malgré les doutes sur le retour annoncé, déjà ! - la possibilité d’un combe-back gagnant est à prendre très au sérieux… !
Cinquante années, Mesdames et Messieurs, à monter cette bicyclette vaille que vaille. Cinquante années oui, Mesdames et Messieurs et ce vieil homme a placé sa fierté dans ces quelques kilos d'acier. Car cinquante années de service assidu ont lié sa bicyclette à cet homme comme une épouse aimante ; à lui, ce vieil homme, qui a passé sa vie seul.
Ça pédalait dur, ça pédalait sec, tous devant et moi derrière, sans que je comprenne vraiment pourquoi. C'est vrai, enfin : mais de quelle auguste manière étaient-ils toutes et tous, gracieusement et insolemment, passés devant moi, sans effort (de leur part), quand moi je suais comme un bouc pour les garder dans l'œil ? Ce qui fut rude, crois-moi, puisqu'en deux ou trois virages bien sentis, mon œil ne m'offrit plus que les crêtes, les aigles, les veaux dans les vaux pour seul panorama ; mais de cycliste point. Tous loin devant, moi derrière. Au nom de quoi, mais dis-moi enfin, au nom de quoi, se sont-il permis ce luxe, sur leurs bécanes pourries, avec leurs dégaines défraîchies, leurs mines glauques et verdâtres et leurs panses vaillamment rebondies, de me planter là et me faire passer pour un freluquet chétif ?
Sommeil pâteux, au creux d'une nuit lourde. Une clarté chancelante, venue d'un réverbère ankylosé, filtre à travers le store. Les draps humides de sueur sont froids
dans la chaleur ambiante.
Une explosion dans l'éternité nocturne. Rupture du cours des choses.
J'aime mon vélo.
Et je suis à peu près convaincu que lui aussi m'aime bien.
De toutes façons, il me suffit de penser que mon vélo m'aime pour que cette seule vérité emplisse le cosmos et fasse vibrer l'immensité universelle : mon vélo, il
m'aime !
En 2005, le site Cyclismag (qui a disparu depuis) s'inquiétait de la disparition d'Antoine Vayer ; et le voilà qu'il sortait du bois simultanément sur La Flamme Rouge et sur Vélochronique !
Ces deux sites ont collaboré pour vous proposer un entretien passionnant avec Vayer qui, lorsque vient le temps de parler de ce qui se passe réellement dans le cyclisme, ne s'économise jamais, parle avec verve et sans mâcher ses mots, loin de la langue de bois de nombreux journalistes apparemment plus prompts à préserver l'image du cyclisme qu'à en dénoncer les problèmes criants.
Un grand col de France - qu'importe son nom, qu'importe la date, et puis qu'importe le reste. Sur la pente luisante de chaleur, où le macadam qui suinte commence à former de la pâte, un sentiment commun connecte provisoirement entre eux quelques individus : posés sur leur vélo et livrés à la suffocation ambiante, ils palpent tous un peu l'absurde à rouler vers le haut de la montagne, sans autre objectif que celui-ci, arriver en-haut.
L'aut'jour dans mon courrier
J'ai reçu des papiers
J'en suis
J'vous l'dis
J'en suis resté tout pâle
On me disait tout dret
Sur un ton impérial
D'aller me présenter
A l'U.
C.I.
La grand'fédération
Promenade anodine au gré des ondulations estivales ; une course à faire peut-être, deux barres de céréales pour la sortie de demain, un tour de vélo dans la montagne. On s'en voudrait presque de n'être pas sur sa bécane, à pédaler encore par un temps pareil ; indéfiniment ; à l'éternité, tout livré sur son vélo - la nature a si bien fait les choses, pourquoi ne pas pousser jusqu'au bout la magie du vélo ?
Ma conviction est profonde aujourd’hui que ton image, Marco Pantani, m’accompagnera longtemps dans ma vie ; moi la vie j’ai encore la chance d’y être. Toi tu l’as quittée. D’écrire ce que je viens d’écrire, comprends-tu que c’est pour moi comme une aberration ? Est aberrant ce qui s’écarte du type normal, et de l’ordre attendu des choses. L’idée de ta mort (mais que ces mots me sont pénibles…) m’est absurde, insensée : au sens propre, dépourvue de sens. C’est pourquoi cette lettre que je t’adresse, c’est à la fois un mot d’amour et une fusée de détresse envoyée à l’Ordre des Choses.
Le guidon a tangué
Les roues au sol crépitent
Et la terre se déplace
La nature s'est droguée
Des vitesses interdites
Ces rêves la délassent
A la longue liste des questions sur la nature et les motivations humaines, il convient d'ajouter celle-ci : qu'est-ce qui pousse les hommes à monter des montagnes à
vélo, pour les redescendre immédiatement? J'écarte d'emblée quelques réponses attendues, et inadéquates ici :
- pour aller de l'autre côté
- pour faire du tourisme
- pour épater leurs femmes/leurs maris
- pour le plaisir
Au pied de la Sainte-Victoire, deux cyclistes posent leurs vélos le temps de se réchauffer dans un café. Dans le froid, contre un mur en pierre de Rognes, les deux vélos se reconnaissent…
En janvier 1940, en pleine guerre, on apprenait la mort du brillant sprinteur allemand Albert Richter, dans des circonstances troubles. Du suicide au règlement de compte, diverses explications furent avancées. A ce jour les conditions de cette disparition ne sont certes pas claires, mais une chose est sûre : Richter est mort pour n'avoir pas suivi le nazisme. Il avait 27 ans.
Il en a fait sa religion
Sa vie s'est nourrie de sa Foi
Il a souffert, pleuré parfois
Et il s'est battu comme un lion
Le dimanche 4 avril 2004, Graeme Obree veut se relancer à l’assaut du record de l’heure. Cette ambitieuse entreprise nous a redonné l’occasion de nous pencher sur l’histoire mouvementée de ce record. Nous revenons sur les différentes péripéties de ce record de 1984 à 2000.
Les choses de la vie ce matin sont à l’image de ma vision soudaine du monde, misérablement tristes et amorphes. Les couleurs de l’arc-en-ciel sont tombées et le gris chagrin a envahi la vie. La représentation que je m’en fais n’a plus grand-chose de dynamique. L’un de mes fantasmes vitaux, du moins ce qui en était l’âme et le socle, s’est purement évanoui à mon insu dans la vacuité du cosmos. On ne peut supporter sans faiblir la disparition de ce qui nous donna matière à rêver. Je ne suis pas du genre à vouer un culte à un homme, mais je sais m’attacher considérablement à la part de la magie qu’il a su apporter à la mythologie. Nous y avons tous une part, minime ou grandiose, qu’un autre peut apprécier à la mesure qu’il veut, et qu’il peut décider de rattacher à la mythologie. Quant à moi, ce que je trouve dans les hommes de contribution mythologique, c’est une transcendance d’une sorte unique. L’exemple par dessus tout de la grâce des anges est celui de Charly Gaul.
Ce fut comme un froissement de soie, dans cette pinçante froidure, qui me pétrifia. Ce fol émoi, c'est un frêle freluquet qui me l'offrit. Je demeurai figé dans la pénombre floconneuse, dessus ce gouffre sans fond et face à cette falaise terrifiante, quand il fila comme une flèche devant moi, dans cette nature en furie, sur son vélo frissonnant. Il se faufila fermement dans la montagne, comme un fantôme flamboyant, ou tel un formidable funambule.
Le sanglot de la source résonnait jusqu'à moi. J'entendais les fontaines de Gréoux qui gémissaient au loin, la voûte céleste qui grondait au-dessus de la verrière. Tout autour de moi, Moustiers-Sainte-Marie frissonnait, et je prenais la pleine mesure du privilège que j'avais. Au coin de la véranda du Relais, sur le pont de Moustiers, je m'assoupissais au suave susurrement de la cascade, en observant les vingt vélos appuyés sur les rambardes, d'un groupe de cyclistes anglais de passage, quand une parole tomba dans mon oreille, ourlée d'un accent mélodieux et gracieux. C'était la table voisine qui s'intéressait à moi. Ce couple était tout ce qu'il y avait de plus gentil. Et parfaitement néerlandais ; en dépit de l'accent, pensai-je en rustre !
C'était au printemps 2001. Les volets clos depuis une semaine m'isolaient du monde, et la notion de temps m'était désormais étrangère. Accablé par le poids de mes recherches en matière d'histoire cycliste, je n'avais plus qu'une faible et vacillante lueur de bougie pour me secourir. Et, à l'ombre du monde, je travaillais au projet d'été de notre association cycliste, dont la trésorerie est sous mon entière responsabilité. La couverture de poussière qui protégeait le téléphone se souleva d'un coup lorsque la sonnerie retentit. J'avais quelque chose d'un zombie pour l'insensé qui m'appelait : «Vous êtes le chroniqueur cycliste ? » J'eus comme un doute : « Auquel pensez-vous ? »
Sans aucun arrêt, je poussais ma course jusqu'aux campagnes, et loin devant moi, dans le ciel blanc, se dressaient les humbles montagnes, où ma furieuse jeunesse avait fait ses premiers pas et donné ses premiers coups de pédales. La douceur du vent m'était propice, et j'allais. Plongé dans la sainte solitude, je dévorais la route à toute allure, sans déranger personne des campagnoles et des mésanges, qui savaient par cœur ma délicieuse souffrance cycliste.
Le 2 décembre 1973, sous le ciel d'ambre de Rostock résonnait un cri d'enfant naissant. Le vent s'engouffrait sous le porche à côté d'un vieux temple tombé en désuétude, et sifflait sous les fenêtres. Israël venait de perdre son créateur, David Ben Gourion, et l'hiver hésitait à venir plus tôt que prévu. Ou peut-être qu'il était déjà là ; ou qu'il n'hésitait pas du tout ; mais il faut bien que j'écrive. Et ce gamin-là criait à la chaleur de sa mère qu'il faisait son entrée fracassante dans le monde. Et je serai célèbre. Et je gagnerai le Tour de France. Il y a trente ans, Jan Ullrich entrait dans l'aventure humaine.
Vélochronique rétablit ici la vérité sur une page mal connue de l'Histoire. C'est bien Jules César qui est le véritable inventeur du vélo, et il fut assassiné pour cette invention. Voici la pièce qui retrace les derniers instants du dictateur romain. Attention : puristes littéraires s'abstenir.
Ce n'est peut-être pas encore l'hiver mais ça y ressemble, ici, au pied de ma Sainte-Victoire. A travers le carreau de ma fenêtre, à la chaleur du radiateur, je l'observe, qui se dessine dans le vent, bleu glacé, et qui m'en veut un peu, de ne plus aller la voir aussi souvent qu'avant, sur mon vélo. Et pourtant, j'aime ses routes, j'y ai voltigé si souvent j'y ai sué si souvent, j'y ai galéré si souvent. J'y ai fait mes premiers pas de cycliste ; j'y ai eu mes peines de cycliste ; mes rages de cycliste ; mes espoirs. A son regard je sens bien qu'elle m'en veut un peu.
« La guerre d'Irak, quand était-ce ? » Cette année-là, c'était la cinquième d'Armstrong : c'est 2003 ! Certains d'entre nous savent bien ce que c'est, cette terrible passion du cyclisme, qui parvient à envahir notre conception du temps et des événements de l'histoire du monde au point que des moments de cyclisme deviennent des points de référence dans nos mémoires. Oui, oui, c'est certain, je rattache des années et les événements qui les ont marquées aux courses de vélo légendaires ou ennuyeuses qui ont empreint mon esprit de souvenirs éternels. L'image d'Ullrich en Andorre, qui monte Arcalis comme une moto, ceint des couleurs de l'Allemagne, cette image, eh bien moi, c'est au brevet des collèges que je l'associe, et j'aimerais bien savoir à quoi elle vous fait penser, à vous. LeMond qui brise Fignon sur les Champs, pour le bicentenaire de la Révolution Française : quelques jours plus tôt, je démontais la Bastille sur des airs de Malher dans ma petite maternelle de Martigues.
Dans mes rêves de bonheur, il y a toujours un vélo quelque part, couché dans l'herbe ou ronflant au grenier. Le froid vient de geler ma raison et je suis pris de folie. Je me surprends à chanter des odes et crier des dithyrambes. Toujours pour un vélo.