Ta splendeur éternelle, Marco, par delà les tourments

Les choses de la vie ce matin sont à l’image de ma vision soudaine du monde, misérablement tristes et amorphes. Les couleurs de l’arc-en-ciel sont tombées et le gris chagrin a envahi la vie. La représentation que je m’en fais n’a plus grand-chose de dynamique. L’un de mes fantasmes vitaux, du moins ce qui en était l’âme et le socle, s’est purement évanoui à mon insu dans la vacuité du cosmos. On ne peut supporter sans faiblir la disparition de ce qui nous donna matière à rêver. Je ne suis pas du genre à vouer un culte à un homme, mais je sais m’attacher considérablement à la part de la magie qu’il a su apporter à la mythologie. Nous y avons tous une part, minime ou grandiose, qu’un autre peut apprécier à la mesure qu’il veut, et qu’il peut décider de rattacher à la mythologie. Quant à moi, ce que je trouve dans les hommes de contribution mythologique, c’est une transcendance d’une sorte unique. L’exemple par dessus tout de la grâce des anges est celui de Charly Gaul.

Il est un être qui fut habité par cette grâce des anges. Peut-être l’a-t-elle quitté un jour, peut-être se fut-elle enfouie en lui pour n’être plus visible de nous. Cet homme m’a fait rêver. Et j’apprends qu’il n’appartient plus à la vie. Aujourd’hui n’a plus de sens pour lui, qui n’est plus. La pensée ne l’anime plus. Quelle abomination pour celui qui s’animait si magnifiquement dans la solitude de la montagne. Il ne subsiste de lui que son nom, qui est déjà inscrit, trop tôt, dans le passé de l’humanité, et le souvenir dans nos esprits des images qu’il a apportées à la mythologie. Je ne peux me résoudre à croire que la vie s’est séparée de lui.

Le meilleur moyen, aujourd’hui, de ne pas attenter à la pérennité de sa splendeur—splendeur de toute vie sur terre—c’est d’oublier d’être pragmatique, c’est d’ignorer les conditions et les circonstances de son divorce d’avec la vie, c’est de rester au seul niveau de l’âme. Immortalisons d’abord la grandeur avant d’en revenir lamentablement aux vérités matérielles. A quoi bon se ruer comme des charognards sur la situation tragique d’un homme mis à terre par la mort !

Ce nom qui lui survit, j’ai presque peine à le dire, car il me rappelle la réalité glaciale. Ce nom, il fut une mélodie à mes oreilles lorsque j’étais adolescent, et pardonnez-moi, mais j’ai besoin aussi de magnifier les choses, et cet homme, je l’ai magnifié. Ce dont il était capable avait le raffinement, la tragique élégance et l’infernale splendeur de… de quoi ? Je ne sais plus, quelque chose m’échappe, comme lui, comme cet homme qui nous a fuis. Ce nom qui lui survit, c’est MARCO PANTANI.


Marco Pantani a terminé son chemin, un chemin de 34 ans seulement, un chemin qui montait, un chemin qui descendait, mais son chemin désormais est ailleurs, comme probablement depuis longtemps. Il y avait deux Pantani, l’homme et le mythe. Le mythe s’était désagrégé, et l’homme n’avait plus de support : la séparation avec la vie était déjà consommée. Il est venu rendre à l’éternité ce qu’il ne pouvait plus être. J’ai en tête l’image d’un Pantani qui me fait face, les mains en bas du guidon, la barbiche arrogante, le regard revolver, bandana sur la tête, qui éploie ses ailes, et part en haut des cieux à l’abordage à travers la pluie. J’ai comme l’impression qu’il n’est arrivé en haut qu’hier.


La vie de Pantani fut un filament aussi fragile qu’un vélo dans la montagne, qu’un cœur qui bat d’amour, qu’un sourire de joie. La sainte solitude dont il se drapait dans ses envolées sublimes était précisément tout ce qu’il y a de plus salutaire et fatal à la fois. Dans ces instants magiques, le mythe s’élevait, mais il n’y a rien d’autre en haut que la mort pour le recueillir.

Écrire commentaire

Commentaires: 0