Rubrique interdite aux non-détenteurs du sens de la
nuance, de la critique et de l'humour.
Citoyen ordinaire, Benjamin Malo est du genre à rouler à côté de la plaque. C'est probablement le passionné de cyclisme le plus distrait que j'aie connu ; d'aucuns me répondraient : ce gars-là ne peut pas être un vrai passionné de cyclisme - amateur de vélo, certes, pratiquant par loisir, assurément, mais ignare en sciences cyclistes. C'est vrai qu'il a tendance à inverser les années où Roche et Delgado ont gagné le Tour ; et à oublier jusqu'à la possibilité qu'un Raimondas Rumsas ou qu'un Zenon Jaskula aient fait un podium. Il ne sait d'ailleurs plus qui est Bernhard Kohl. Et se demande bien qui est le champion du monde en titre. C'est aussi lui que les Coudoucens aperçurent un jour de février 2008 au sommet des Quatre-Termes en train d'attendre le peloton du Grand Prix de la Marseillaise qui était déjà arrivé à Marseille.
Le très ordinaire citoyen Benjamin Malo a pris un coup de gourdin sur le coin du pif voilà trois semaines et quelques cendres ; le premier janvier de l'année en cours pour être moins approximatif. 2010. Déjà dix ans depuis cette mémorable nouba dont quelques fragments, à y réfléchir de plus près, s'étaient déjà défaits de sa mémoire, mine de rien, ça fiche un coup, moi qui croyais m'en souvenir comme si c'était hier, et qu'est-ce que ça a filé vite, saperlipofichtre. Dix ans. Il était bel étudiant, prometteur, mince, frais, pas top intéressant mais pas le plus insipide ; il se retrouve transparent, chômeur à ses heures perdues, bedonnant sur les bords, plutôt jauni. Dix ans depuis cette mémorable nouba. Ils avaient écrit leurs résolutions à ne pas tenir, avec les copains, sur du papier hygiénique dont ils s'étaient partagé les feuilles. Leurs prédictions aussi. Et leurs pronostics.
Même pas mal. Cadel Evans a voulu faire bonne figure devant les caméras en rejoignant la ligne d'arrivée. Une bête chute dans un des derniers tournants l'a privé de l'incommensurable joie de partager l'emballage final pour la huitième place avec le reste du peloton, six minutes après le succès de Nicki Sörensen.
- Eh Lloyd, tu sais pas ce que vient de me dire Rinaldo ? Y paraît que devant, Evans a attaqué !
- Evans ? Non ? C'est pour ça qu'on accélère alors ? Mais qu'est-ce qui lui prend de flinguer sur une étape comme ça ?
Parti en mission pour Vélochronique dans la principauté d'Andorre, j'attaquai la montée vers Arcalis muni de mon vaillant bicycle au crépuscule du matin, à la fraîche comme on dit par chez nous, suivi de ma non moins vaillante remorque, destinée aux quelques réapprovisionnements non taxés de circonstance que permet le petit crochet par l'ultra-libéral mini-Etat.
Gérone. C'est autour d'un tapas végétarien que Cadel et Jean-Paul se sont retrouvés, à sept avenues du départ de la sixième étape, qui tracera jusqu'à Barcelone. Un coup d'œil à droite, un à gauche, Cadel se sent épié par la foule, mais ce ne sont que fêtards et buveurs. Jean-Paul ouvre l'entrevue en lançant une attaque massive sur le vin catalan. Une deuxième gorgée.
Après une petite virée incognito dans les clubs branchés du Cap d'Agde, les blancs-bleus BBox de Bernaudeau ébaubis par leur cauchemardesque chrono de la veille se sont rabibochés avec la bonne Fortune. C'est que, solidairement atterrés par le désastre du contre-la-montre par équipes de Montpellier, la bande des bibox a improvisé une petite nuit blanche sur les pistes de danse et les meilleures banquettes du Cap.
Une poignée de millièmes de secondes, repêchés dans les temps enregistrés lors des chronos individuels (en l'occurrence la première étape à Monaco) ont départagé Cancellara et Armstrong au classement général à la sortie d'un contre-la-montre par équipes inhabituellement court (39km) mais peu propice à l'exercice (virages techniques et routes étroites notamment) ; au profit du Suisse.
Le cyclisme de 2009 a des airs des années 90, avec ses anciens champions revenus défier les nouvelles générations. La nouvelle tendance musicale est la valse des retours. Celui d'Armstrong avait eu l'effet que l'on sait, et avait fini par banaliser les retours réels ou seulement envisagés de Vinokourov, Basso, Heras, Landis, Hamilton, Bartoli… Avec la ferme intention de ne pas se contenter de faire de la figuration.
Depuis que Lance avait décidé de revenir à la compétition, il était assez satisfait de lui. Il se languissait d'être de retour dans le peloton, pour affronter la vindicte, pour dire du mal publiquement des journalistes français, pour se faire craindre à nouveau. La retraite sportive ne l'amusait guère. Les galas, la presse people, le président Bush... c'était barbant, pas assez boxé, trop lisse. Il avait besoin d'affrontement.
La scène décrite précédemment sur ce site se déroula, selon la chronique cycliste, dans le courant de l’année 2008. Lance avait perçu à quel point ses journées devenaient routinières. Cependant, les doutes le tiraillaient ; et puis, on n’improvise pas un retour, comme ça, l’air de rien. Aussi tenta-t-il d’oublier cette pensée, et de se détourner vers d’autres occupations. Faire un disque ? Ecrire un livre ? Sortir avec une chanteuse ? Un dîner à la Maison Blanche ? Un championnat de VTT ? Entrer en politique ? Rien que de très banal - tout était si monotone !
Lance faisait les cent pas dans son salon panoramique. Il s’arrêtait parfois, s’étirait, donnait un peu du poing dans le punching-ball à l’effigie d’Ullrich (un cadeau, mais de qui déjà ? du président ? du gouverneur ? de Verbruggen ? Il ne s’en souvenait plus vraiment), puis reprenait sa marche domestique en soupirant. Depuis quelques temps, il sentait poindre d’invraisemblables tentations : une viennoiserie, un Coca même pas light, une barquette de McCain (les frites), et même dormir. Des jours, il n’avait même pas l’occasion d’être méchant. Il avait la menace molle ces temps-ci. Car enfin, il fallait se rendre à l’évidence : Lance s’ennuyait !