Punch Hushovd

Gérone. C'est autour d'un tapas végétarien que Cadel et Jean-Paul se sont retrouvés, à sept avenues du départ de la sixième étape, qui tracera jusqu'à Barcelone. Un coup d'œil à droite, un à gauche, Cadel se sent épié par la foule, mais ce ne sont que fêtards et buveurs. Jean-Paul ouvre l'entrevue en lançant une attaque massive sur le vin catalan. Une deuxième gorgée.

Un geste rassurant de la main invite Cadel à se confier. L'Australien penche le buste sur la table, Jean-Paul alias Polo fait de même pour approcher sa docte oreille. Étrange question en vérité. Le deuxième du Tour 2008 lui demande des infos sur un dénommé Van Springel. Il ajoute le nom d'un certain Janssen. Puis craque, et lâche d'autres noms, comme si c'était lui qui était interrogé : Bracke, San Miguel, Aimar…

Polo se relève, dubitatif ; Cadel supporte mal le regard compatissant du vieux sage. Il doit le prendre pour un fou, et il aurait bien raison. Alors Cad implore, un trémolo dans la voix. Polo lève deux doigts apaisants au-dessus de son front. Aussi se sent-il autorisé à poursuivre ; il raconte. Sans oublier d'expédier quelques regards de-ci de là et de rabattre ses lunettes noires sur son nez, il raconte ses lueurs blanches, ses souvenirs intrusifs, cette mémoire qui le harcèle mais qui ne lui appartient pas. Il se souvient de coureurs qu'il ne connaît pas, de courses qu'il ignore, de Tours qu'il n'a pas courus. D'où lui viennent ces Van Springel, ces Pingeon, ces Bitossi ? Il se rappelle avoir vu un ou deux de ces noms dans les palmarès, ou les avoir entendus dans les saints reportages rétro de Polo à la télé. Mais tous les autres ? C'est pourquoi il a sollicité Polo-la-Science, d'où ce rendez-vous secret.

Mais il aurait tort de croire que Polo le juge mal. L'historien-reporter a du bagage. Et Cad n'est pas le premier. Et ça, ça le trouble, le Polo. Et ça le frustre carrément. Parce que les villages fleuris, les châteaux cathares et les forteresses Vauban à meurtrières octogonales sur fond de musique relaxante, ça commence à lui chauffer la durite. Alors que les confessions nocturnes de Freddy Maertens derrière une baraque à frites en 1979, de Pedro Delgado dans les vespasiennes du prologue du Tour 1989, de Zenon Jaskula dans le box d'un centre équestre en 1994, de Jan Ullrich dans la chambre des empaquetages de l'usine de Willy Wonka, plus récemment, celles d'Inigo Cuesta et de Frank Schleck sur les plages naturistes du Cap d'Agde, ça ferait du reportage en béton, du scoop en or, un super titre dans les librairies. Tous sont frappés du même mal. Mais tous demandent une discrétion absolue. Et il est comme ça, Polo, droit comme un feu rouge dans la morale.

Alors, recoupant les témoignages et les confessions, Polo se contente d'enquêter secrètement sur ce mal énigmatique, sur ce qu'il appelle le fantôme du Tour, qui hante les coureurs de manière aléatoire. Il s'apprête à réconforter son compagnon de soirée lorsque Thor Hushovd fait son entrée dans le bistro. Cad s'enfouit sous la table. Et Thor, au contraire, bondit dessus, et se met à entonner en catalan l'hymne de Freddy Mercury et Montserrat-Caballé, Barcelona, une bouteille de punch à la main. Thor a raison. L'arrivée à Barcelone lui sera favorable. Encore raté. Cadel doit s'éclipser, se glissant par une chatière dans l'arrière-boutique.

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