Feillu ne s'Andorre pas

Parti en mission pour Vélochronique dans la principauté d'Andorre, j'attaquai la montée vers Arcalis muni de mon vaillant bicycle au crépuscule du matin, à la fraîche comme on dit par chez nous, suivi de ma non moins vaillante remorque, destinée aux quelques réapprovisionnements non taxés de circonstance que permet le petit crochet par l'ultra-libéral mini-Etat.

Je n'étais pas seul. Entre deux caravanes secouées par les ronflements de quelques chauvins ventrus venus du Nord, je dépassai tel Basque téméraire déposant son graffiti sur le macadam à la gloire des Euskaltel, ou tel autre Allemand véhément venu chanter la mémoire de Jan Ullrich, jadis vainqueur sur ces pentes. Ainsi gravissais-je la pente lorsqu'un marcheur pourvu d'une hotte de vendangeur sur le dos me fit un signe du pouce. Je crus d'abord qu'il s'agissait d'un signe d'encouragement destiné à me témoigner l'estime que lui inspirait mon exploit matinal. C'était plutôt un auto-stoppeur faisant du stop.

Joyeuse invention que la remorque de bicyclette. L'auto-stoppeur et sa hotte furent aussitôt embarqués, et ce fut comme si la pente prenait dix pour cent de plus. C'était un assez jeune homme, sportif et svelte, c'est pourquoi après six minutes d'un effort dégoulinant et quinze mètres parcourus, je lui proposai de me payer ma générosité en échangeant nos places. Je m'installai dans la remorque, en compagnie de sa hotte. Et tandis qu'il pédalait, mon regard distrait croisa le regard suspect de quelques « paquets » dépassant de ladite hotte. Ma non moins distraite main droite rencontra l'un de ses paquets, et après l'avoir très involontairement retourné, secoué, palpé, en déchira négligemment l'opaque emballage. Une étrange curiosité poussa ma main à renouveler l'opération ; deux paquets, puis trois, puis quatre, et ainsi de suite… Puis une forme mouvante et pleine de plumes au fond du panier : un pigeon !

Arrivé au sommet, épuisé par l'effort de mon auto-stoppeur, je nous offris une rafraîchissante bière sans alcool, puisée dans la barrique d'un Hollandais endormi dans sa roulotte. Et commençai à interroger mon suspect sur la provenance et la destination de ses paquets (et de son pigeon). Un brin gêné, le petit gaillard m'avoua être mandaté par plusieurs de ses amis VIP, commissions à l'appui, pour procéder aux réapprovisionnements andorrans en produits de consommation divers à hauteur du maximum autorisé par les douanes. Perspicace, je cernai la nature de ses amitiés d'après les noms plus ou moins équivoques griffonnés sur les paquets trouvés dans la hotte : Tommy, Lance, Fab, Carlos, Alb, Andy & Frank, Klödi… Pas bête. Mon groom de service était aux ordres du gratin du peloton ! J'étais à deux doigts de découvrir les vices cachés des plus grands champions. Je voulus mettre le missionnaire au pied du mur, et je brandis un paquet au hasard. C'était une cartouche de cinq kilos de poudre blanche comme du sucre javellisé. « Les cinq kilos de farine autorisés par les douaniers, m'assura-t-il. C'est pour mon ami Boonen ».

Enchanté de cette trouvaille, je sortis un deuxième paquet, Lance. À quelle sorte d'emplette fantasmait Armstrong ? Il s'agissait d'une bombonne de sang de veau détoxiné. « En guise de carburant pour son 4x4, précisa l'ami des champions. Cela coûte beaucoup trop cher en Amérique ». Et le paquet Fab : d'après l'étiquette, une grosse recharge de jus de pamplemousse sous la forme d'un millier de dosettes, pour Cancellara, qui pourrait se consoler le soir-même de la perte de son Maillot jaune par une petite rasade express. Il y avait aussi dix kilos de sachets de congélation pour Carlos Sastre, à partager avec Valverde. Sûrement pour des filets de dinde à surgeler, ou du colin. Alberto Contador lui avait demandé quant à lui de faire le plein de Kit-Andorre, un puissant somnifère qu'il voulait faire goûter, disait-il, à un de ses équipiers pour lui faire une bonne farce - ainsi que du Cont'Andorre, des gélules homéopathiques pour rafraîchir le teint, pour son usage personnel. En revanche, Brice Feillu lui avait commandé d'acheter de l'Andorre-Fine, une pilule à base d'herbes, mais à livrer dès le matin même à son hôtel de Barcelone, d'où le pigeon - voyageur - prêt à s'élancer du sommet d'Arcalis.

Finalement, pour saugrenu qu'il fût, le butin du larbin n'était pas très intéressant pour un affûté reporter comme moi. Tous ces futiles achats ne revêtaient qu'une importance médiocre et ne trahissaient que les vains besoins des stars cyclistes. Ce n'était finalement pas ce naïf petit groom missionnaire qui allait m'aider dans mes investigations. J'aurais encore des poubelles et des conteneurs à fouiller en quête de seringues usagées ou de capsules d'EPO. Je finirais bien par y arriver…

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