Essoufflement

Je finissais un feuilleté au saumon et quelques ravioles. Le cœur ni trop en haut ni trop en bas. Sur un rythme globalement monotone.
Le Président parlait à la télé. Dans l'alignement de mon Muscat.

Ma distraite attention fut parasitée. Un souffle lointain ; plutôt un essoufflement, et un couinement saccadé.

J'en éprouvai comme une inquiétude, sourde et mystérieuse.

Je mis en mode silence, le Président se tut.

C'était bien un essoufflement, accompagné d'un geignement mécanique, lent mais régulier. De toute évidence, un pédalier qui gémit. Pédale en haut… ffffffffff… Pédale en bas, gniiiiiiiii…. Pédale en haut… fffffffff…
Une gorgée de Muscat, au cas où je délire. Je vais voir par la fenêtre de la cuisine.

Dans la côte, sous la pluie fine d'un soir d'allocution présidentielle, un cycliste pas fringant, pédale en haut… ffffffffff… pédale en bas, gniiiiiiiii…. pédale en haut… fffffffff… Je ne le voyais pas avancer, presque statique dans un équilibre inquiétant. Il eût plus vite fait de pousser sa bicyclette. Le bonhomme portait un gros pantalon très large, et une épaisse écharpe sous son manteau sale. Pas cycliste par loisir.

Pédale en haut… et la roue avant de tanguer un peu à gauche… fffffff… pédale en bas… et d'aller un peu à droite… gniiiiiiiii… tombera, tombera pas… et la pédale de remonter…

Il a eu le temps de me voir, à travers la fenêtre. Je galère sur mon vélo, et alors ? me disait son œil fatigué. Oh, moi je ne dis rien, répondait mon sourire gêné. Je descendrai pas de ma bécane, j'en crèverai s'il faut, relançait-il. Z'êtes sûr ? hésitai-je d'un timide haussement de sourcil. À mon âge, j'ai pas d'autre défi, grondait-il, je monterai jusqu'à mon abri, là-haut, et je descendrai pas de ma bécane.

Je suis retourné finir mon Muscat. Le vieux bonhomme est retourné sous son abri, tanguant à droite, tanguant à gauche, finir les restes qu'il avait glanés dans les poubelles du centre-ville.

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