12 juillet 1995 : quand Pantani glisse dans la Légende

Pantani n’aborde pas le Tour 1995 avec la préparation prévue, en raison d’un accident survenu en mai. Cependant, le grimpeur confirme ses talents prodigieux et remporte deux étapes avec une classe inédite. A l’Alpe-d’Huez, pourtant pas en grande forme, Marco s’envole devant Indurain et remporte sa première étape dans le Tour de France

Juillet 1995 – Désormais célèbre pour son coup de pédale déconcertant dans la montagne, qu’il a mis à profit dans son premier Tour de France, en 1994, Marco Pantani a déjà sur son palmarès une deuxième place au Giro 94 et une troisième au Tour de cette même année. Il a à peine ses 25 ans, et le petit Romagnol entend bien réparer une injustice caractérisée, lui qui n’a gagné aucune étape du Tour en dépit de ses envolées impressionnantes. Mais il est écrit que Marco n’a pas de chance et le 1er mai 1995, une voiture qui brûle un stop le percute, le privant ainsi du Tour d’Italie et d’une préparation en bonne et due forme.


Qu’importe, Marco a la grinta. Et il est certain désormais qu’il est le meilleur grimpeur du monde. Il ne se sent certes pas à un niveau d’exception, mais il croit bien que sa condition va de mieux en mieux au fil de ce Tour que Miguel Indurain vise pour la 5e fois consécutive. Néanmoins, en quelques jours s’envolent les possibilités de rivaliser avec l’Espagnol pour le classement général, car Marco dépasse bientôt les 10 minutes de retard. Il faut dire aussi que dans l’exercice contre-la-montre, il trouve vite ses limites, et il y a perdu un temps considérable. Cependant, il se rappelle qu’en 1994, sa position était semblable avant de s’être hissé à la troisième place. Il peut encore croire à un podium, même s’il déplore que la partie ne soit pas facile pour les grimpeurs, pénalisés par le trop-plein de contre-la-montre et de bonifications dans la plaine.


Le mercredi 12 juillet, l’Alpe-d’Huez a peut-être de quoi lui donner des idées, à lui le grimpeur sensationnel, le lutin fou qui avale la montagne comme un caramel. L’Alpe-d’Huez, et ses 21 virages, montagne mythique bâtie pour la classe des plus grands champions ! Cette 10e étape doit être la sienne.


Marco a renouvelé son image pour ce Tour 1995, et l’allure qu’il expérimente sera la sienne pour les années qui s’ouvrent devant lui : les quelques cheveux hirsutes qui se couraient après sur son crâne luisant en 1994 ont totalement disparu. La calvitie est désormais totale, et ce look d’enfer lui vaut un succès certain. La tête en boule de billard, Marco a le visage inoubliable d’un futur vainqueur du Tour. On ne l’appelle pas encore le Pirate, car l’idée du bandana ne lui est pas encore venue, mais il reçoit le surnom très peu flatteur d’Elefantino, qui n’est pas la meilleure chose qu’on aura trouvée pour un garçon de sa trempe.


Cette 10e étape est d’abord marquée par l’abandon d’Evgueni Berzine, vainqueur fracassant du Giro 1994 en perte de vitesse, qui monte dans la voiture après la Madeleine. Dans la Croix-de-Fer surgit Laurent Brochard qui lance la première attaque, imité par plusieurs comparses, dont Jalabert, qui n’a pas encore pris sa dimension historique, Virenque, Dufaux, Escartin et Gotti, futur vainqueur du Giro. Mais bientôt c’est l’Alpe-d’Huez qui se dresse, et le groupe d’Indurain n’a guère que 50 secondes de retard sur les échappés.


C’est l’instant que Marco Pantani juge approprié pour accélerer. Je vous parle d’une accélération bien spéciale, absolument irrésistible, qu’il ne faut pas espérer pouvoir imiter. Le formidable grimpeur reprend les échappés un à un, et s’assure 1’45 d’avance sur le groupe Indurain en quelques kilomètres. A partir de ce moment, à 8 km du sommet, le Maillot Jaune Indurain décide de prendre les choses en main et s’installe aux manettes de son groupe. Tout en puissance, l’Espagnol avale les échappés à son tour, seulement accompagné de Zülle, puis de Riis, proprement incapables de prendre un relais, et qui le suivent sans mot dire. L’allure de la poursuite d’Indurain est alors plus ou moins similaire à celle de Pantani, qui a ce mérite de creuser des écarts impressionnants en très peu de temps, pour ensuite les maintenir. C’est son exceptionnel pouvoir d’accélération, parfaitement inimitable, qui l’a propulsé à l’avant. Mais sur les 8 derniers kilomètres, Pantani et Indurain font jeu égal, mais à distance. Le Maillot Jaune récupère tout au plus une vingtaine de secondes sur ces 8 kilomètres.


A l’approche du sommet, Pantani est certain de sa victoire, mais à la sortie du virage qui débouche sur l’arrivée, le diablotin nous fait une frayeur. En plein effort, son visage grimaçant change soudain de tournure et semble se couvrir d’une étrange stupéfaction. C’est-à-dire que Marco est tout simplement en train de rater son virage, roulant tout droit vers les barrières. Il rattrape l’erreur qui le force à freiner et à relancer. La victoires est acquise. Il faudra attendre 1’24 pour voir arriver le deuxième coureur, Miguel Indurain. Epatant, il est alors à rapprocher définitivement des plus grands grimpeurs de l’histoire du Tour, et on pressent déjà que son avenir dans le Tour a des chances d’être glorieux.


Philippe Bouvet écrit le lendemain dans L’Equipe : « Ce grimpeur, qui égale pour le moins Luis Herrera, mais avec un bagage assez supérieur dans d’autres compartiments du jeu, n’a sans doute fait qu’ouvrir hier à l’Alpe, là où il en rêvait, le livre de ses victoires dans le Tour. Nous sommes de ceux qui veulent croire que la victoire finale ne lui est pas interdite, et sans que Jean-Marie Leblanc n’ait pour autant recours à ce projet de bonifications attribuées dans les cols, pourvu otutefois qu’il ne soit pas confronté à une trop forte de génération de rouleurs. Mais Pantani n’a que 25 ans, et il a des chances, quand même, de voir Indurain débarrasser le plancher ». Quant à Jean-Michel Rouet, il s’exprime ainsi : « A 25 ans, Marco Pantani se présente comme un l’un des plus sérieux candidats à la succession de Miguel Indurain, qu’il faudra bien assurer un jour prochain. »


Ce Tour 1995, certes, ne sera pas encore celui de sa victoire finale, pusiqu’il lui faudra attendre trois ans. Et bien que cette victoire à l’Alpe le fît remonter à la 7e place du classement général, et en dépit d’une autre victoire à Guzet-Neige, Marco resta trop limité sur l’ensemble de l’épreuve pour s’assurer un bon classement final. Mais il est évident pour certains qu’il faudra le tenir à l’œil à l’avenir, ce sacré bonhomme qui se décrit comme un romantique du vélo, un coureur à l’ancienne, qui ne roule jamais avec un cardio-fréquence-mètre ; il n’accorde alors pas grande importance à la technologie. Et quand il monte un col, dit-il, c’est pour se faire plaisir. Il révèle ses talents de chanteur et annonce ses ambitions pour le Championnat du monde de Duitama. On peut vous dire qu’il en terminera troisième, quelques jours avant un terrible accident dans le final de Milan-Turin, où une voiture à contre-sens vint à nouveau le fiancer avec le malheur.

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