5 juin 1999 : le jour où Marco a cessé d'être Pantani

L’histoire retiendra difficilement que le Giro 1999 a été gagné par Ivan Gotti. Cette épreuve restera celle de la déchéance de Marco Pantani, brisé en pleine gloire par une présomption de dopage alors qu’il était à 48 heures d’une victoire finale. Le champion passe du rang de héros à celui de paria. Plus jamais Marco ne sera le Pantani des années 90.

Juin 1999 – Le cyclisme est pris dans un vaste tourbillon depuis l’affaire Festina qui constitue la crise la plus grave de l’histoire du sport. Ce sport, en particulier, tombe sous le coup du discrédit, et se trouve pourchassé par la justice. Richard Virenque cristallise sur lui l’image du cycliste dopé qui a trompé le public. Mais au milieu des remous, un homme rassure, c’est Marco Pantani, vainqueur sortant du Giro et du Tour, meilleur grimpeur au monde, qui a sauvé par ses exploits prodigieux le Tour 1998 du naufrage. Marco est désormais célèbre jusque dans le grand public, qui connaît parfaitement ce gentil visage en boule de billard, sans un poil sur le caillou. L’Italie l’a élevé au rand de héros.


Le Tour de France 1999 approche et il s’agira pour Marco de remettre sa victoire en jeu. Mais pour l’heure, c’est le Tour d’Italie qui s’élance, et Marco en est aussi le vainqueur sortant. Il ne fait pas de doute que son niveau est pointu, sa forme particulièrement bonne, car la montagne décidément ne lui résiste pas. Dès la 8e étape, qu’il gagne à Gran Sasso, 23 secondes devant l’autre grand grimpeur du moment, mais plus inconstant, Jose Maria Jimenez, et 26 secondes devant Alex Zülle, Marco Pantani endosse le Maillot Rose. Et le lendemain, Pantani confirme dans le contre-la-montre d’Ancore qu’il est capable d’exceller dans cette discipline, terminant 3e de l’épreuve à 55 secondes de Laurent Jalabert, à qui il concède le Maillot.


Jalabert, très brillant sur ce Grio, conserve le Maillot Rose jusqu’à la 14e étape, lorsque Paolo Savoldelli gagne en échappé devant Marco qui reprend la tête du classement. Dès le lendemain, le formidable grimpeur l’emporte à Oropa, 21 secondes devant le Français, qui prend sa revanche à Lumezzane. Puis l’Alpe di Pampeago, puis Madonna di Campiglio, sont le théâtre de nouvelles victoires de Marco, qui renforce considérablement son avance. Au total, Marco a déjà quatre victoires d’étapes, et le classement final lui est acquis à 48 heures de l’arrivée à Milan.


C’est donc ici, à Madonna di Campiglio, lieu de sa dernière victoire d’étape dans ce Giro, que le drame se joue, au matin du samedi 5 juin 1999. Celui que l’on a encensé et ceint d’une gloire divine va faire l’objet d’un massacre. Le cataclysme est pour ce jour-là, et les supporteurs de Marco Pantani vont connaître l’épouvante ; le cyclisme en général va s’en trouver profondément ébranlé, même s’il n’en prend alors peut-être pas pleinement conscience.


Au matin du samedi, une équipe médicale de l’UCI, Union Cycliste Internationale, fait son débarquement dans les hôtels des coureurs à l’improviste. Il s’agit là d’une opération coup de poing ! L’équipe dispose d’une heure et demie pour contrôler des coureurs de dix équipes éparpillées sur 15 kilomètres autour de Campiglio. C’est le fameux taux d’hématocrite qu’il va falloir contrôler : ce taux de globules rouges dans le sang, selon qu’il est normal ou élevé, permet simplement de soupçonner une prise d’EPO, ou érythropoïétine, hormone qui accroît le nombre de ces globules. Rien ne prouvera jamais un dopage de cette sorte, mais la présomption peut être pire que tout. Le système inventé consiste à déclarer inapte tout coureur dont le taux d’hématocrite atteint 50%, le taux moyen étant normalement plus proche de 42%.

Il faut faire vite pour l’quipe de l’UCI, car l’on sait bien que les coureurs sont en mesure de faire vite chuter le taux d’hématocrite à l’aide d’une perfusion d’eau au sodium. C’est à 7h30 que le directeur sportif de Marco, Giuseppe Martinelli, reçoit l’équipe médicale, qui entre en trombe. Marco et son équipier Marco Velo sont demandés et les contrôles sont effectués. Quelques instants plus tard, les prélèvement parviennent par hélicoptère à un hôpital de Côme. L’opération semble de grande envergure. A 9 heures, les résultats sont disponibles.


L’ensemble des coureurs est déclaré apte à la poursuite du Giro. Sauf un homme parmi eux. La rumeur gonfle et bientôt la nouvelle se répand sur les routes du Giro comme une traînée de poudre. Le coup de tonnerre assomme le Tour d’Italie, resté ahuri. La radio interrompt ses programmes, pour annoncer cette nouvelle invraisemblable : Marco Pantani est exclu de la course ! Pour un taux d’hématocrite contrôlé à 52%, le Romagnol doit renoncer à sa victoire éclatante. Le choix ne lui est pas laissé. Le règlement lui interdit de faire du vélo professionnel pendant 15 jours. La douleur est immense. Les tifosi sont désespérés. La présomption de dopage est trop insupportable pour tous ceux qui avaient adoré Marco, lequel reste claustré dans sa chambre d’hôtel avant de fuir la presse, entouré des carabiniers.


Marco est en pleine détresse, abattu par les tireurs d’élite du haut de son soleil. Le héros est à terre. Sa carrière de cycliste est cette fois lacérée en quelques minutes ; le vainqueur du Tour de France vient de perdre tout son crédit. Plus jamais Marco Pantani n’aura l’opportunité de reprendre le fil normal de sa carrière de champion. Cette carrière sera faite d’épisodes à sensations, de retours et de départs, de douleurs et de joies amères, jusqu’à sa mort. Marco est accablé par la honte de décevoir ses supporteurs. Il est convaincu qu’un complot l’a déboulonné. Il faut dire que Marco avait de quoi déranger, cet homme qui parlait plus haut que les sponsors, capable de mener des grèves de peloton, au charisme national. L’exécution aura été glaciale et sommaire.

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