Le record de l'heure de 1984 à 2000

Le dimanche 4 avril 2004, Graeme Obree veut se relancer à l’assaut du record de l’heure. Cette ambitieuse entreprise nous a redonné l’occasion de nous pencher sur l’histoire mouvementée de ce record. Nous revenons sur les différentes péripéties de ce record de 1984 à 2000.

Moser inaugure la nouvelle ère

C’est avec Francesco Moser que s’ouvre une nouvelle ère dans l’histoire du record de l’heure, période saugrenue qui aura duré 16 ans, de 1984 à 2000. A un moment où cette star vieillissante du cyclisme italien redoutait une retraite proche, toute une équipe médico-scientifique convainc ce champion de 32 ans de s’attaquer au record détenu par Eddy Merckx, quasiment inaccessible (49,431km) C’est un groupe de travail extrêmement performant, aux recherches très pointues, qui a préparé Moser pendant plusieurs mois à ce projet jugé vain par Merckx et Gimondi eux-mêmes.

Cet accord incroyable entre Moser et les hommes de science donna lieu à une aventure impressionnante qui, du reste, brassa des sommes astronomiques, destinées à des recherches poussées, lequelles avaient pour objectif d’assurer la réussite de l’Italien, en trouvant les conditions et le vélo idéaux. La nouveauté consiste à envisager d’un bloc le couple cycliste-vélo, plutôt que de privilégier les capacités de l’homme. On recherche le meilleur Cx, soit le meilleur coefficient de pénétration dans l’air. Sous la direction du Dr Sorbini, de nombreux médecins travaillèrent à ces recherches autour d’un poulain, Moser. L’approche traditionnelle du cyclisme était écartée. Parallèlement, Francesco Moser se soumit à une préparation physique organisée de grande ampleur. On expérimenta plusieurs prototypes, au long d’une patiente démarche.

Puis fut adopté ce vélo étrange, au cadre plongeant, prévu pour que le poids du coureur se porte essentiellement sur la roue arrière, plus grande que la roue avant ; toutes deux étaient lenticulaires, en fibre de carbone. Ces recherches approfondies furent couronnées de succès le 19 janvier 1984 à Mexico. Le choix de Mexico devait naturellement contribuer à alléger les contraintes de la gravité. Recouvert d’une combinaison intégrale, avec un braquet de 56*15, le champion devait s’élancer pour un essai de vingt minutes mais, constatant que la vitesse de croisière était incroyablement élevée, Moser poursuivit son aventure du jour, si bien qu’il roula une heure, à l’issue de laquelle le record de Merckx était très nettement battu : 50,808 km.

Sans attendre, Moser annonça qu’il voulait recommencer. C’est ainsi que le 23 janvier 1984, cette fois sur un braquet de 57*15 (8,27m de développement), et malgré des rafales de vent qui vinrent le perturber, Moser parcourut 51,151 km dans l’heure. Ces progrès de la technologie commencèrent d’embarrasser les législateurs qui percevaient bien les dérives possibles. Moser venait d’inaugurer un nouveau cyclisme.

Obree et Boardman lancent la fièvre du record

Le record de Francesco Moser, maintenu pendant neuf ans, n’avait de chance d’être battu qu’au prix d’une innovation technologique. L’homme seul, sur vélo traditionnel, n’est probablement pas encore en mesure de faire mieux que 51,151 km dans l’heure. Les vélos, dans cette ère nouvelle, seront donc les appuis principaux à ses records. Graeme Obree et Christopher Boardman avaient bien compris cela. C’est grâce à eux que le vieux record de Moser s’abattit deux fois en une semaine.

Obree le fantaisiste

Obree, amateur écossais, était parfaitement inconnu. Son ardent désir était d’attirer l’attention d’une équipe professionnelle pour s’extirper du chômage. Ce formidable fantaisiste apparut donc dans le décor du cyclisme avec un vélo invraisemblable de sa propre fabrication. La méthode Moser était très loin ! De plus, il n’irait pas en altitude. Son vélo démentiel était doté d’un cadre sans tube transversal, d’un guidon de VTT pour enfants reconverti, et d’un pédalier confectionné à l’aide de pièces d’une machine à laver… !! Le plus original fut de voir le champion posé sur son vélo : sa position révolutionnaire était complètement inédite et ne fut jamais renouvelée. L’homme était devenu fusée ! Le buste complètement couché sur le vélo, les bras pliés à l’horizontale, la gorge au niveau du guidon, le menton dans l’axe vertical du moyeu de la roue avant, Obree avait inventé la position ventrale. Très en avant sur le vélo, il était obligé de pousser sur les pédales vers l’arrière. Avec son braquet de 52*13 (9,25 m de développement), il parvint tout bonnement à accomplir 51,596 km dans l’heure le 17 juillet 1993.

Six records en seize mois

Le 23, c’est le Britannique Chris Boardman, lui aussi inconnu alors, qui, dans une position plus othodoxe, fit à nouveau tomber le record, et le porta à 52,270 km. Les deux hommes venaient de prouver coup sur coup que le record ne nécessitait pas des millions dépensés ni des voyages outre-atlantique. Le record d’Obree fut, à cet égard, une démonstration éloquente, puisqu’elle ne lui avait presque rien coûté. En revanche, les positions expérimentées risquaient encore et toujours de devenir de plus en plus surréalistes. C’est pourquoi la position Obree fut interdite.

Graeme Obree reprit son titre en 1994, avec 52,713 km. Mais une ferveur nouvelle s’empara des champions rouleurs, et c’est Miguel Indurain en personne qui accomplit 53,040 km la même année, avant que Tony Rominger ne réalise à peine plus tard un double exploit : coup sur coup, il roula 53,832 puis 55,291 km. Ce dernier record retentit comme un coup de tonnerre : en moins de deux ans, on avait ajouté 4,14 km au record de Moser ! Les positions sur le vélo réglementées après le record d’Obree, étaient dès lors très similaires, très aérodynamiques, mais rien ne contraignait encore lourdement les vélos à des règles draconiennes. Toutefois, deux nouveautés limitaient les fantaisies : le recul minimal du bec de selle (5 cm à l’arrière d’une verticale passant par l’axe du pédalier) et le point d’appui des mains (ne pouvant être situé en arrière de la colonne de direction).

Boardman ressemble à Superman

Les performances successives de Obree, Boardman, Indurain et Rominger en 1993 et 1994, amenèrent allègrement le record de l’heure de 51,151 à 55,291 km. L’UCI était fort embarrassée de constater une sorte de course aux armements destinée à trouver le vélo idéal, au détriment de l’orthodoxie vélocipédique. La position ventrale et surréaliste de Graeme Obree de 1993 fut interdite, mais les deux nouveaux points de réglementation n’interdisaient pas de multiples innovations techniques. Ainsi, Rominger avait roulé sur un vélo doté d’une fourche asymétrique destinée à mieux négocier les virages et à opposer une meilleure résistance à la force centrifuge.

Le record de Rominger constitutait un exploit spectaculaire, car la barre des 55 était tombée avec facilité. Entretemps, Christopher Boardman s’était imposé comme un véritable spécialiste de l’effort solitaire. Le record de l’heure, quoique placé très haut, pouvait encore redevenir sa propriété. C’est ainsi que le 6 septembre 1996 à Manchester, sur un vélo original permettant une nouvelle position allongée, mais respectant la nouvelle réglementation, le Britannique put mettre à profit un gain de 6 à 7% dans le coefficient de pénétration dans l’air. La performance de Boardman fut proprement ahurissante, puisque le nouveau record était porté à 56,375 km. Ce chiffre connut un retentissement incroyable, et ouvrit la perspective des 60 km dans l’heure pour ceux qui pensaient qu’on pouvait encore et toujours faire mieux, parmi lesquels Tony Rominger.

L'invention de la "meilleure performance dans l'heure"

Le record de 56,375 km dans l’heure de Boardman en 1996 était ahurissant mais certains pensaient qu’au prix des innovations technologiques, le mur des 60 km tomberait bientôt. Cela n’était pas sans inquiéter l’UCI qui redoutait une course interminable à la technologie idéale au détriment de la performance physique. Le risque évident était que le record ne devînt celui des vélos. Mais après diverses interdictions, le risque nouveau était que ce record devînt parfaitement inaccessible. On craignait de le voir figé à jamais sous le nom de Boardman.

Par conséquent, afin de comparer ce qui est comparable, on prit une décision importante, qui relégua tous les record établis depuis Francesco Moser sur une tablette secondaire. Le record d’Eddy Merckx, 49,431 km en 1972, redevint en septembre 2000 le record du monde de l’heure officiel, tandis que les records de Moser, Obree, Boardman, Indurain et Rominger étaient classés dans la catégorie Meilleure Performance dans l’Heure. En effet, tous ces record avaient été établis sur des vélos non traditionnels, résultats de recherches en aérodynamisme ; ils étaient tous supérieurs à 50 km.

Record absolu et Meilleure performance dans l'heure

Désormais, pour entrer sur les tablettes de ce qui devenait le Record Absolu, record établi à la Merckx, il fallait utiliser un vélo de confection simple, similaire à celui que Merckx avait utilisé lui-même. Tout profit aérodynamique était exclu. Ce retour au classicisme permettait de rivaliser à armes égales dans le temps et dans la technologie, ce qui aparaissait éminemment plus décent que de rouler sur de véritables fusées. Quant à la Meilleure Performance dans l’Heure, elle pouvait être établie sur du matériel conforme aux réglements du sport cycliste en vigueur au moment de la tentative, réglements plus souples et autorisant à certaines innovations que le Record Absolu, quant à lui, n’admettait plus. Ainsi, les 56,375 km de Chris Boardman, accomplis selon ces dispositions plus laxistes, devenait officiellement la Meilleure Performance dans l’Heure.

Un vélo traditionnel pour le Record absolu

Pour homologuer un Record Absolu, il fallait donc que le vélo réponde à de nombreuses exigences ; voici des exemples :
- Cadre triangulaire à tubes droits et ronds, de 2,5 cm de diamètre minimum ;
- Roues à rayon de diamètre égal, de 65 ou 70 cm ;
- Roues pourvues de 16 rayons minimum et 32 maximum, lesquels rayons peuvent être plats, rond ou ovales à conditions qu’aucune dimension de leurs sections n’excède 2 mm ;
- Pneu d’une section comprise entre 16 et 25 mm ;
- Jantes non profilées ;
- Guidon classique d’une largeur de 50 cm maximum et de 34 cm minimum ;
De plus, le coureur doit porter un casque rigide uniquement destiné à la sécurité et sans profit aérodynamique.

Le Record absolu : un nouveau défi

Nous avons vu qu’en 2000, la réglementation concernant le record de l’heure fut radicalement réformée. Furent effacés de la tablette des records de l’heure toutes les performances de Moser à Boardman, de 1984 à 1996, entre 50,151 et 56,375 km. Tous ces records entrèrent dans la catégorie de la Meilleure Performance dans l’Heure, tandis que le Record Absolu, ramené à celui de Merckx était celui établi sur vélo classique sans profit aérodynamique, vélo similaire à celui de Merckx en 1972. Cela introduisait enfin une distinction fondamentale entre les performances pures établies sur des vélos semblables et contraignants et les performances établies sur des prototypes hyper-évolués aux innovations surréalistes, c’est-à-dire en quelque sorte et de manière simpliste une distinction entre la performance des hommes et la performance de la technologie.

Une aventure excessivement éprouvante

Chris Boardman accepta loyalement ces nouvelles dispositions puisqu’il tenta en conséquence de s’attribuer le Record Absolu le 27 octobre 2000 sur vélo classique. C’est ainsi que l’on prit toute la mesure du poids de la technologie qui avait permis de monter si haut en 1996. Car, sur son vélo traditionnel, avec un braquet de 54*14, Chris Boardman parvint à grand-peine, au prix d’un effort paroxystique, de battre le record de Merckx, vieux de 28 ans : ce n’est que dans les dernières secondes qu’il sut inverser la tendance dans un effot démesuré qui lui permet d’améliorer le Record de… 10 mètres seulement!. Avec 49,441 km, Boardman montrait la vraie valeur de l’homme qui, en définitive, ne s’était pas si considérablement métamorphosé. Le même homme, spécialiste mondial de l’exercice, avait réalisé 6,934 km de moins que sur son vélo Superman. Le mur des 50 km dans l’heure devenait d’un coup monstrueusement impressionnant. Ce nouveau record paraissait presque dérisoire au regard des 56,375 km de 1996. A la nouvelle allure moyenne de 49,441 km/h, il aurait fallu au Britannique 1h08’24 pour accomplir ses 56,375 km…

D’autres hommes tentèrent l’aventure dans les mêmes conditions, mais les trois tentatives furent des échecs. L’Allemand Thomas Liese, le 20 octobre 2001, prit conscience de la difficulté de l’entreprise, ainsi que son compatriote Michael Hutchinson le 3 juillet 2003. L’expérience la plus émouvante, peut-être, fut celle du Suisse Jean Nüttli, professionnel peu connu mais assurément spécialiste du contre-la-montre, qui était venu au vélo après avoir combattu l’obésité. Sa tentative du 15 novembre 2002 tourna court.

Écrire commentaire

Commentaires: 0