Mes débuts dans le dopage (2)

Sans commentaire. Pour et avec Charly.

Confiance et confidences

Cela fait plus d'un mois que j'ai reçu la première confidence de Charly, cet aveu  en forme de constat, à travers ce contrat de confiance qu'il a établi malgré nous. Je n'ai rien demandé. Son secret est devenu le mien. Je n'ai pas su quoi faire je l'avoue. Il n'y avait rien de cycliste dans cette histoire, mes conceptions sportives de ma passion venaient de sombrer purement devant ce garçon, et je ne voyais plus qu'une histoire humaine, ancrée simplement dans le quotidien des choses de ce monde. Le vélo ne figurait même plus dans mes pensées, je n'étais plus le chroniqueur devant Charly, mais le jeune homme paumé avec une patate chaude entre les mains. Et je n'avais pas compris, moi, pourquoi Charly m'avait parlé. De tous les hommes, et de toutes les femmes de la planète, il en avait choisi {un} pour livrer sa souffrance, son secret, son aveu, son infraction, son péril, et c'était moi. Simplement parce que-je ne l'ai compris que récemment-je suis à ses yeux indissociable de l'idée de vélo.

Ses amis cyclistes, ce sont des cyclistes, mais aussi des amis, tandis qu'il avait besoin de la personne qui était évocatrice de la seule idée de cyclisme, à chaque instant. Et c'était moi. Pour Charly, Raphael, ça me fait penser à vélo. Croyez bien que je me suis un peu remis en cause, parce que ça fiche un coup. Ma vie était-elle à ce point unidirectionnelle et monopassionnelle ? Mais qu'importe, c'était le besoin de Charly. Il m'avait trouvé. Et j'avais la bienveillance qu'il cherchait. Mais quant à moi je n'avais rien cherché, et j'étais bien en peine de prendre une décision, après plusieurs soirs de confidences : comment l'aider ? Car c'était bien ma seule motivation, ma motivation d'homme.

En quelques jours, j'ai pris la mesure du désespoir de ce garçon, qui était tombé dans ma vie comme on tombe d'une chaise. Je n'avais pas idée de la suite des événements. Et je n'avais pas de suite dans les idées. Charly était à mes yeux un toxicomane désespéré, et ce qu'il essayait de démontrer c'était qu'il est un athlète-toxicomane. Moi je pensais drogue, lui me disait dopage. J'étais un peu décalé par rapport à ce qu'il cherchait à me confier. Il ne parlait que dans une dimension cycliste auprès de moi, c'était ce qui l'intéressait. Mais j'étais décalé à tous les niveaux ; je ne percevais plus très bien Charly, il était une sorte de nébulosité, et je ne faisais plus la différence entre lui et moi. Il me parlait de sa schizophrénie, et j'étais schizo avec lui. Je ne savais plus si Charly c'était moi. Ses paroles m'embarrassaient, parce qu'elles me redonnaient mes propres angoisses. Je suis chargé, s'excusait-il parfois avec un regard lourd de plomb, et je ne savais plus vraiment qui parlait, qui j'avais en face de moi et qui j'étais.

Il y a presque dix jours, Charly m'a appelé, alors que j'étais en pleine crise d'angoisse ; cette histoire me tapait sur le système, son secret était trop lourd à porter, j'étais confiné à un silence oppressant. J'avais moi-même besoin d'exorciser. Je vivais avec la crainte de mal faire, de rester passif ; j'avais peur aussi d'apprendre le suicide de Charly, ou son overdose. Mes hantises depuis la mort de Pantani marchaient au pas cadencé dans ma tête. En fait, ma crainte était de ne plus recevoir aucune nouvelle du garçon, cela arrivait parfois trois jours de suite et j'étais transi d'inquiétude. Je n'avais aucun moyen de le retrouver. Si, faire le tour des hôpitaux et des rubriques nécro. Et par dessus tout ça, je ne savais plus moi-même où j'en étais. Besoin d'exorciser. Dans la rue, j'ai une impression d'irréel.

Il m'a appelé, donc. Ça tombait à point nommé ; son appel répondait à mes nouvelles interrogations. Je replaçais doucement l'histoire de Charly dans son contexte cycliste de dopage. C'était double : sportif et social. Et je me disais : si cette histoire n'est pas unique, il faut en parler, bon sang. Mais que pouvais-je faire sans le trahir ? Charly était dans un moment de franche lucidité. Est-ce que ça t'intéresse d'en parler sur Vélochronique ? « Qu'est-ce que tu vas imaginer ? » Non, tu comprends pas : je veux que tu en parles sur ton journal. M… alors. Et là, ça a fait tilt : à la fois social et cycliste… Bien sûr, Vélochronique devait permettre à Charly d'ouvrir son sac. C'était tout ce que je pouvais lui proposer. « Tu veux écrire sur le site? Naturellement. » Non, toi, tu vas écrire. « Je peux pas, c'est à toi de le faire » Non, c'est à toi, c'est mon désir ; « Mais qu'est-ce que je dois dire ? » ai-je demandé accablé. Je te fais confiance. Encore cette confiance ! Elle m'embarrassait plus que jamais. A toi seul ; c'était bien ma veine. Jamais une confiance ne m'avait semblé aussi malvenue. J'étais presque catastrophé. L'anxiété m'a tordu les tripes pendant quelques minutes car la tournure des choses m'échappait : comment tout cela va-t-il finir ? J'avais Charly sur les bras. Mais comment pouvais-je le regretter ?

Une semaine de réflexion, et la cause était entendue. J'ai pris le risque. Et puis une nouvelle angoisse: «Charly, je vais sûrement écrire des choses qui ne seront pas très agréables à lire, tu comprends ? » Oh mais t'inquiète pas, j'ai pas l'intention de lire. Je suis resté comme une nouille. Je ne l'avais même pas envisagé. J'ai voulu me désengager. « Mais c'est hors de question ! » Mais Charly est tombé dans ma vie, avec sa force de persuasion.

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