Mes débuts dans le dopage (7)

Sans commentaire. Pour et avec Charly.

Redevenir un observateur silencieux du cyclisme

Je me suis rendu compte qu'il m'était beaucoup plus difficile que prévu de raconter l'expérience que me propose de vivre Charly. Il ne m'a pas confié une mince affaire. C'était inévitable : cette histoire me fait tourner en rond, comme les impressions en moi. Raconter l'histoire de ce garçon ne peut se résumer à… un résumé. Décrire platement, cela m'est hors de portée. Cette chronique passe nécessairement par la mise à plat des états d'âme qui me traversent. Si vous aimez le cyclisme, je ne vous souhaite pas de connaître pareille crise.

Je me contenterai de reprendre ma conclusion d'hier : en pareil instant, je suis partagé entre l'envie d'y croire et l'envie de redevenir un observateur silencieux. Lorsque j'ai ouvert Vélochronique, je me croyais à l'abri du coup de massue. C'était sans compter sur les confidences de Charly. Je vous prie de le croire : entendre un aveu de ce garçon vous tord les tripes. Cela fait un peu plus d'un mois que je reçois ses confessions, et je ne m'en remets pas. Comme ils viendront, les mots se présenteront ici pour livrer cette histoire, banale quand elle ne nous concerne pas, insoutenable quand on y est plongé. La souffrance de Charly remet en question jusqu'au bien-fondé de mon amour pour le cyclisme, ou de ma position d'observateur loquace.

Il est tombé en toxicomanie, comme moi j'étais tombé en religion. Il est rongé de l'intérieur, par tous les côtés, à l'âge qu'il a, j'ai froid dans le dos. Il monte sur un vélo comme un grand drogué, et roule comme un forcené, sans plus voir où il met les roues, sans plus savoir ce dont il est capable et quelles sont ses limites. Il est dans un délire permanent. Me parle sans cesse de vélo et d'honneur. J'ai commencé à me doper pour voir, et aujourd'hui j'en crève. Je suis sale. Mais si ça se sait, je suis déshonoré. C'est une souffrance brute ; quand je bois un verre avec lui, j'ai l'impression qu'il va s'effondrer comme une vieille tour moisie. Quand il marche, il est à bout de souffle, mais quand il roule, il voltige ; mais cette facilité n'a pas l'air du tout d'une aisance. Elle sent mauvais.

A ce jour, Charly ne fait plus de course sous les couleurs de son club. D'ailleurs il a « très peu couru en étant chargé ». Il se contente d'une ou deux cyclosportives, pour se maintenir. Et moi, de quoi vais-je me contenter ? D'une passion qui m'est revenue en pleine face comme un boomerang-guillotine ? La perplexité est ma seule certitude.

Je pourrais me taire. Sur tout point. Regarder le vélo comme quand j'étais môme, dans une chaise longue devant la télé, et ne plus rien dire. Faire le naïf et ne plus me poser de question. Ma passion cycliste est si lointaine que je n'ai pas de premier souvenir : le cyclisme est naturalisé dans mon esprit. Mais pas la souffrance des autres. Devant moi, l'esprit d'un pauvre garçon est maltraité. Et que fais-je ? Le cyclisme me donne des doutes ; si Charly est schizo, je le suis avec lui.

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