Mes débuts dans le dopage (12)

Sans commentaire. Pour et avec Charly.

Socialement handicapé

Charly ne se manifestait plus ces derniers temps que par d'épisodiques textos et je me fis une joie de mettre cette sorte d'absence au compte d'un regain de forme : Charly n'avait pas besoin de moi ; il allait donc bien. Cette logique m'a frappé : Charly ne me fait intervenir dans sa vie que lorsqu'il est en grande souffrance. Quelle image doit-il avoir de moi ? Il m'associe irrémédiablement à son tuteur ; peut-être à son pygmalion ? Je me fis la remarque que la rencontre du Vénézuélien, que nous appellerons Caracas par commodité, avait fait favorablement évoluer les choses. C'était tant mieux. Peut-être Charly avait-il reporté son amitié sur lui, ainsi que la confiance presque insoutenable qu'il avait posée sur moi pendant plusieurs semaines.

Pour la première fois récemment, je prix le risque, par inconscience, ou par désir confus de soulagement, d'évoquer le « cas Charly » auprès d'un ami. Mais en moins d'une minute, c'en était fait, j'étais l'ami et la caution d'un toxicomane. Et ce n'était pas complètement faux. Je fis un calcul : mais quelle somme j'avais déboursée pour combler les manques en drogue de Charly ? Par pitié ou par frayeur ? Par panique ou par honte ? Et en entretenant de la sorte un dopé, n'avais-je pas mis une effroyable contribution à un avenir peut-être tragique ? Et j'en voulus tout d'un coup à Charly, au premier jour où il avait avalé une pilule, ou une poudre, ou je-ne-sais-quoi, à ce jour où il s'était dit, envers et contre ses propres valeurs : à mon tour de me doper ; à ce jour où il avait pris ce chemin boueux de futur toxico.

Il suffit peut-être de penser à ce cas pour qu'il re-surgisse. Il y a deux soirs, on sonne. La voisine du dessus probablement. En ouvrant la porte, je ne soupçonne pas le choc : j'entre à nouveau dans l'abomination. Un garçon que je connais pas se tient devant moi, un jeune homme très élégant et propre sur lui, d'allure sympathique ; derrière lui, Charly se tord d'une douleur que j'identifie. Il pleure ou rit, on ne sait pas trop ; tout à la fois. Il marmonne, gémit, ricane ; il est en sueur. Blanc comme la banquise. Et m… ! Avant même que le garçon se présente, j'avance sur le palier en refermant la porte : « Je ne suis pas seul à la maison ». Le garçon se présenta avec une certaine classe, c'était donc Caracas le Vénézuélien. Charly l'avait supplié de le conduire chez moi. Il était dépassé. « Depuis combien de temps est-il ainsi ? » Le gémissement de Charly montait dans les cages d'escalier. Je voyais le moment arriver où ma compagne allait venir sur le palier et nous trouver tous les trois : étrange disposition ! Il me parle sans cesse de vous depuis tout à l'heure, fit Caracas dans un accent espagnol. « Certes, mais qu'est-ce que… » J'étais abattu. Je m'avançai vers mon ami : « M… tu déc… Charly, vraiment tu me fais pas plaisir ! »

Quelqu'un descendait les escaliers. Charly avait l'air mourant, on eût pu le croire affligé d'un coup de poignard, il se tenait les côtes. Ruisselant. Je le saisis par le bras et fis un signe de tête à Caracas pour l'inviter à descendre vers les caves. Charly opposa une résistance inattendue et inconsciente. « Nom de… Charly, suis-moi ». Le voisin apparut au rez-de-chaussée et fut un peu surpris de cette agitation ; nous n'avions pas eu le temps de nous dérober à sa vue. J'étais dans le colimaçon à mi-chemin entre le rez-de-chaussée et le sous-sol. Charly était maintenu par Caracas et moi. « Un problème ? », fit le voisin, pas vraiment rassuré. « C'est mon frère… », fis-je instinctivement, avec l'air féroce d'y croire. Le voisin posa ses yeux sur Caracas, qui ajouta en montrant le bras de Charly : Loui, c'est son frère… « Il ne va pas bien votre frère » « Pas grand-chose, on vient des caves, il s'est donné un coup ».

Mensonge sur mensonge. A cet instant je me souvins avec honte que ce voisin était docteur. Je rougis. « Tout va bien. D'ailleurs, on retourne à la maison ». On conduisit Charly chez moi. Mon frère donc. Le voisin nous observa avec une sorte de pitié et de suspicion. On s'engouffra à trois dans l'appartement. On coucha Charly dans le canapé. « Raphael, qu'est-ce qui se passe ? » Derrière nous, il y avait une demoiselle un peu paniquée, et je fus bien troublé de la situation. Avec grande ironie mais grand embarras aussi, je répondis : « He he… salut chérie… C'est-à-dire, je te présente… enfin… voilà mon frère… et son meilleur ami ».

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