Réouverture sur la vie

Par Lothar.

 

J'attendis mon dimanche pour relancer l'enquête. La réapparition brusque de mon chroniqueur d'ami sur une avenue d'Aix ne nous avait pas laissés sans séquelle, ma bicyclette, ma remorque et moi-même. Je ne rappellerai pas, en effet (ou alors, très brièvement), que, lancé à la poursuite de mon spectre d'ami au ventre ballottant que j'aperçus pédalant à toute allure sur un vélo au pneu arrière à plat, j'encastrai la remorque attelée à mon propre vélo, et qui me sert d'ordinaire à remorquer mes commissions végétariennes de la semaine ou du mois, j'encastrai la remorque de mon vélo, donc, dans les arrières-trains respectifs d'une Mini Austin et d'un fourgon de convoyage de fonds, qui discutaient le bout de gras à un feu rouge. J'avais à la fois sous-estimé la largeur de ma remorque et surestimé le passage entre lesdits véhicules. Ou plutôt, j'avais oublié la présence d'une remorque derrière moi. Ou en fait, je ne sais plus, je ne me souviens guère que de l'agacement de ces messieurs les convoyeurs de fonds.

Lesquels ont légèrement corrigé à leur façon l'esthétique de l'acier de mon vélo, de la tôle de ma remorque et de la finesse de mes traits.

Voilà pour mon samedi après-midi, donc. Le dimanche, le vent et les nuages noirs me persuadèrent de tenir le repos. C'est ainsi que je fis une tentative de communication avec celui qui avait, sans le savoir, égayé mon samedi.
-    Tuuut... tuuut… Mmmh'allô ?
-    Sans blague? J'aurais parié qu'on t'avait coupé le téléphone.
-    Lothar ? Surprise… Tu voulais me proposer de payer ma prochaine facture ? Parce que justement…
-    Non, mais tu es quand même en vie, bout d'saucisse. Dis-moi comment ça va.
-    Pas pire. Que me vaut l'honneur ?
-    Figure-toi que pas plus tard qu'hier, j'ai aperçu sur le boulevard un bicycliste qui avait l'air d'avoir des airs de toi.
-    Dingue.
-    Je lui ai roulé après.
-    Je ne savais pas que je te plaisais à ce point.
-    Arrête, je passe sur le fait que j'avais quasi un rancard avec le vélocipède d'un apprenti-pâtissier…
-    Apprenti-boulanger.
-    Exact, boulanger. Comment le sais-tu ?
-    J'ai lu Vélochronique ce matin. Va au fait.
-    Je n'ai pas rattrapé le gars.
-    Trop rapide ?
-    J'ai sympathisé en chemin.
-    Avec ?
-    Avec un trio de convoyeurs de fonds. T'as lu Vélochronique ou t'as pas lu Vélochronique?
-    J'ai lu. Mais je voulais savoir qui était dans la Mini. Ça, c'était pas écrit.
-    Et le gars, tu ne veux pas savoir si c'était toi ?
-    Là-dessus, je suis déjà renseigné.
-    Un ventre pareil… Et le flip-flip ignoble du pneu à plat…
-    Je suis confondu. Désolé pour ta remorque et ton bicycle, Lothar.
-    Pas de quoi. (Mais comment le sais-tu ? Ce n'est pas encore en ligne, ça.) Alors, tu te relances dans la vie ?
-    Aucune relance, j'étais juste en transe.
-    Je croyais que c'était lié au Grand Prix d'Ouverture.
-    De quoi, Lothar ?
-    À cet instant précis, le peloton passe à quatorze kilomètres de chez toi. Tu n'aurais jamais manqué ça. Tu manques ça. Ça ne te manque donc pas ?
-    Tu m'en bouches une tartine, mon vieux Lothar. Suis pas tout à fait sorti de ma transe, comme qui dirait, sais pas trop encore où j'en suis. Je suis tenté de dire…
-    Dis, mais dis donc.
-    Je ne sais pas. Quel vainqueur ?
-    À cet instant précis, c'est Rémi Pauriol qui gagnera dans une heure.
-    Pourquoi pas Voeckler ?
-    J'aurais pu dire aussi. Alors, alors ? Remue-toi et prends ton clavier. Ou alors attends-moi et roulons.
-    Sans ta remorque ?
-    Sans ma remorque.
-    Et tu me diras qui était dans la Mini ?
-    Si tu m'accompagnes à la boulangerie.

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