Six ans sans Pantani

En 1994, c'était la révélation de Pantani. Quatre ans plus tard, sa consécration. Encore six ans plus tard, le 14 février 2004, sa disparition. Trois dates.

1994 : la révélation

Il y a bientôt seize ans un petit lutin bien dégarni dévoilait ses gloutons appétits de cimes sur le Tour d'Italie. Inconnu du grand public, mais vainqueur du Giro-bébé deux ans plus tôt, Marco Pantani décrochait la deuxième place de ce Giro 1994, à 24 ans, grâce à ses talents de grimpeur diabolique. Ainsi dauphin du météore Evgueni Berzin, il se permettait en outre le luxe de faire bisquer Miguel Indurain, seulement troisième, et pour la première fois battu dans un Grand Tour depuis l'ouverture de son règne sur le Tour 1991. Et battu par deux hommes à la fois, deux jeunes inconnus ou presque.

Un mois plus tard, l'affront était lavé pour le grand Navarrais Indurain, qui allongea sans coup férir sa collection  de Tours de France, mais sans dissimuler la révélation au public international du grimpeur génial qu'était Pantani, qu'un public plus initié avait découvert lors du Giro. L'Italien avait réveillé les souvenirs des plus grands montagnards du Tour et c'est d'une unanime admiration qu'on accueillit ses démonstrations par-delà les cols. Partageant le podium avec Indurain et Ugrumov (2ème), Pantani ravivait chez certains observateurs l'espoir qu'un pur grimpeur remporte à nouveau la Grande Boucle, en reprenant leur droit aux meilleurs rouleurs-grimpeurs du monde, un espoir que Claudio Chiappucci, son propre chef d'équipe, n'avait pas su concrétiser.

1998 : la consécration

C'est que Pantani avait tout pour ressusciter le mythe du grimpeur. Petit, frêle et néanmoins dominateur dans les sommets, solitaire, forcément écorché, un brin mégalomane mais jamais vraiment sûr de lui, apte à faire sauter la baraque à tout moment, il devait avoir ses entrées chez les anges et lui seul pouvait détenir la clé de l'envolée céleste. L'exploit de légende, attendu pour les vibrations mystiques et l'infernale illumination qu'ils promettait, adviendrait par lui ou n'adviendrait pas. Même les coups de canon d'Indurain dans les contre-la-montre ne pouvaient plus impressionner autant que les échappées de Pantani qu'on se figurait en fantasme.

Quatre ans plus tard, le Pirate qui s'était débarrassé de son misérable sobriquet d'Elefantino revenait gagnant sur les deux épreuves qui l'avaient révélées au monde, le Giro et le Tour, mettant ses plus beaux atouts de grimpeur fou au service d'un doublé fantastique, coupant net Jan Ullrich dans l'élan de 1997 qui le destinait à ingurgiter des Tours de France en veux-tu en voilà, régalant le public terrassé par l'affaire Festina d'une invraisemblable chevauchée lancée dans un Galibier détrempé jusqu'au sommet des Deux-Alpes, offrant aux nostalgiques de Charly Gaul un retournement de situation comme on n'en faisait plus. Admiré, encensé, adulé.

2004 : la disparition

Et dix ans après cette double révélation prometteuse (1994), six ans après cette double victoire stupéfiante (1998), c'est-à-dire il y a six ans (2004), Marco Pantani interrompait toute idée d'aventure extraordinaire au sommet des Alpes et étouffait tous les fantasmes en partant pour sa dernière échappée, non pas la plus appréciée, mais la plus pleurée ; celle que, pour une fois, son public ne voulait pas applaudir, qu'il eût contenue d'un cri s'il avait pu, qu'il eût empêchée, eût-il dû retenir son champion par le maillot. Il y a six ans Pantani s'échappait du monde.

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