Sur la route du Tour, Jean-Paul Brouchon

Pour ceux qui n'avaient pas un téléviseur à portée d'yeux, ou pour ceux qui avaient une panne de tube cathodique, pour ceux d'avant l'internet et qui ne regardaient pas la course en {streaming}, pour ceux qui étaient au bureau, pour ceux qui étaient sur la route mais en auto, dans les bouchons, au retour du travail, sur le chemin du notaire ou d'un goûter chez belle-maman, pour ceux encore qui étaient sur la route mais à vélo et qui s'accoudaient à la fenêtre ouverte de la cuisine d'un retraité, et puis pour ceux qui n'étaient pas assez passionnés pour traquer la retransmission télévisée mais juste assez intéressés pour s'informer quand même, pour ceux qui voulaient épater le voisin cyclo, ou pour ceux qui se remémoraient l'exaltation de grand-papa, pour tous ces dépossédés de l'image, volontaires ou contraints, il y avait Jean-Paul Brouchon.

On allumait la radio, un jour que les coureurs se démenaient dans l'enfer du nord, quelque part entre Paris et Roubaix, et tandis que l'embouteillage pascal nous laissait rôtir sur une autoroute du sud de la France, on se demandait si là-haut les gars avaient la pluie et la gadoue des pavés ou bien le sec et la nébuleuse sableuse qui allait avec ; on n'allait pas tarder à savoir, grâce à Jean-Paul Brouchon. Et en effet, c'était assez court, mais à intervalles réguliers, sa voix doucement nasale surgissait dans le poste et commentait la course - c'était limpide et nous savions clairement ce qui était à savoir. Il nous laissait là, et nous reprenait un peu plus loin ; le dernier épisode du feuilleton se lançait avec l'arrivée sur le vélodrome, vécue en direct dans une auto immobile qui pourtant se mettait à gigoter de droite et de gauche, tout animée des cris de ses occupants.

Et puis c'était fini pour cette fois, c'était « sur la route de Paris-Roubaix, pour France Info, Jean-Paul Brouchon ».

Mais on savait qu'on pourrait compter sur lui pour le Tour, quand l'image nous ferait défaut. Et alors nous serions suspendus à sa diction que la presse est infichue de décrire, et qu'elle se contente de définir comme «si caractéristique » ou tout simplement « inimitable ». Ben oui, quoi d'autre ? On ne fera pas mieux ici.
Cette inimitable diction, et ce timbre de voix si caractéristique ont cessé de surgir dans les postes. Mais s'il est un bon Dieu là-haut (s'il est bon et s'il est là-haut), la course cycliste ne doit pas avoir de mystère pour lui. Il a Chany et Blondin à lire, Chapatte et Brouchon à écouter.

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