Nous étions jeunes et insouciants - Laurent Fignon

Insouciante jeunesse : une petite figurine

 

Fignon était, dans la petite et moyenne enfance de votre serviteur, le nom d’un petit cycliste en plastique ; et cette figurine avançait sur un plateau de jeu au sol à côté d’autres petits coureurs, au gré des valeurs indiquées par les dés jetés. Le nombre de dés affectés à chacun de ces petits coureurs dépendait de leur force, estimée par les grands experts en sciences cyclistes de la maison qu’étaient alors : le père, le frère de votre serviteur. Lesquels avaient conçu et confectionné le plateau de jeu, qui remplaça, au fil des améliorations qui lui furent apportées, tous les jeux de société que nous n’aurons jamais achetés dans le commerce. (À quoi bon puisque nous tenions là le moyen abouti de nous divertir à moindre coût ?) Fignon avançait donc, à côté d’Hinault (que j’écrivais mentalement Ino, et que je confondis avec Lino en 1992) et de LeMond (qu’on appelait, qu’on appelle et qu’on appellera toujours Lémone chez moi).


L’âge de raison me permit d’associer la petite figurine du jeu à ce cycliste à lunettes et à queue de cheval blonde, en chair et en os, lui, qu’avait soutenu le premier des deux experts de la maison cités plus haut, jusqu’à l’incapacité de dissimuler physiquement son amer désappointement un jour de juillet 1989 (une certaine arrivée du Tour sur les Champs).

 

Déception d’autant plus difficile à contenir face au deuxième expert cité plus haut, ardent supporteur de l’ennemi américain, que ce dernier laissa exploser sa joie à cet invraisemblable instant de sport que ma maigre conscience percevait déjà comme un moment historique. Et lorsque je vis Fignon, le vrai, quitter son dernier Tour en 1993, je ne savais peut-être pas encore bien qu’en dehors de son inoubliable infortune de 1989, il avait joué un rôle dans le cyclisme qui avait fait de lui, par ailleurs, un double vainqueur du Tour de France.


 

Adolescence passionnée : Fignon et moi

 

L’adolescence et ses longues heures d’études dans les archives cyclistes me dévoilèrent le palmarès véritable de ma petite figurine du début. Et ce gars-là s’était fait connaître au monde l’année où j’y venais. Bref, Fignon occupe une part majeure de ma vie de passionné.
J’étais jeune et insouciant. Le cyclisme n’a plus la même saveur pour moi aujourd’hui.
Mais le livre de Laurent Fignon permet de goûter à nouveau aux saveurs oubliées. Il est aidé par un style admirable, une intelligence d’écriture et d’analyse qui ne nous auront pas étonnés, et une solide construction.

 

Évidemment, Fignon ne se prend pas pour de la pissouille de mulot, mais l’estime dans laquelle il se tient, athlétiquement légitime, participe de la notoriété du personnage, souvent perçu dans les années 1980 comme hautain, grande gueule, pas très complaisant, direct, voire méprisant et prétentieux. Aspect sans lequel il n’aurait pas cassé la baraque en 1983, tout jeune professionnel, en épinglant le Tour de France dont il ne savait, si peu de temps auparavant, que vaguement l’existence.

 

Six ans plus tôt, Fignon n’a aucune culture cycliste. Mais le petit intello parisien qui s’impose après Hinault et confirme sa position l’année suivante, savait à peine qui était celui-ci au moment de passer professionnel. Dur dur alors de prévoir le nouveau statut que confère la victoire du Tour, et la célébrité internationale qu’elle induit. Un succès tellement rapide et facile que c’est tout naturellement qu’il se perçoit comme le meilleur cycliste au monde.



- Ah, mais je vous reconnais, vous êtes celui qui a perdu le Tour de 8 secondes!

- Non, monsieur, je suis celui qui en gagné deux.

(Nous étions jeunes et insouciants, L. Fignon)

 

Jeune et insouciant. Fougueux et sûr de lui. Impertinent et certain de son rang. C’est l’histoire racontée d’un jeune homme des années post-giscardiennes qui transcende la simple biographie cycliste. Le livre est traversé d’un questionnement d’ordre quasi métaphysique : l’insouciance de la jeunesse (à laquelle renvoie directement le titre), la notoriété publique et le glissement qu’elle encourage entre la personnalité propre et intime du sujet d'une part et son image publique d'autre part, donc tronquée et trompeuse, les ravages de la starification et les tourments intérieurs que provoque une brusque traversée du désert, la nécessaire remise en perspective de sa vie après le tumulte de la carrière publique, la mise au point avec soi-même…

 

Quelques mises au point avec nous aussi. La biographie de Fignon permet de combler un manque, celui qui s’ouvre entre les deux pics de sa carrière, de 1984 à 1988. Une période durant laquelle on lui avait prédit une suite de victoires au Tour et qui le laisse sur la touche, une période dont il sortira plus mûr, et qui débouchera sur la nouvelle génération des années 1990. La bio permet aussi d’y voir plus  

 

clair dans ses relations avec Hinault (un respect affiché, quelques coups de canif, on est de la même trempe) LeMond (oh, la pilule reste dure à avaler) ou Guimard (aïe, une histoire qui ne finit pas franchement bien).
Une mise au point incomplète aussi : en dépit des promesses de la quatrième de couverture, le dopage est certes évoqué, mais on a (beaucoup) du mal à croire que Fignon est allé au bout

 

des choses autant que pour certaines anecdotes (Paris-Camembert 1986 avec Andersen, un morceau à croquer).
Un livre à mettre cependant dans les mains de ses admirateurs, de ses détracteurs, et même si vous n’y entendez pas grand-chose en cyclisme, si un jour ennuyeux d’hiver que vous êtes dans une maison de campagne isolée vous le trouvez dans une bibliothèque, n’hésitez pas à ouvrir ce bouquin !



Nous étions jeunes et insouciants
Auteur : Laurent Fignon (avec la collaboration de Jean-Emmanuel Ducoin)

Éditions Grasset & Fasquelle
Parution : 2009
Prix public (2015) : 19,30 euros

Édition LGF

Parution : 2010

Collection : Livre de proche numéro 31619



Compléments

Le billet de La Flamme rouge.

La critique de Cyclisme-Dopage.

Le palmarès détaillé de Fignon sur Mémoire du cyclisme.

Les chronos affolent le Tour 1989, dossier de Dominique Turgis sur Cyclismag (2009) à propos du rôle des contre-la-montre dans le Tour 1989.


Sur Amazon


Écrire commentaire

Commentaires: 0